samedi 19 juillet 2014

Enesco et Constantinescu chez Forgotten Records

Il m'est arrivé de parler d'Enesco avec des mélomanes chevronnés. Plusieurs fois, j'ai entendu le même discours, de la part d'interlocuteurs qui ne se connaissaient pas : la musique d'Enesco se partageait entre des oeuvres bienvenues et d'autres impossibles à écouter. Dans la première catégorie : les Rhapsodies bien sûr, la 1ere Symphonie, l'Octuor. Et les oeuvres impossibles : la Symphonie concertante pour violoncelle et orchestre, la 2e Symphonie, la musique de chambre, les Lieder, l'Ouverture de 1947, la Symphonie de chambre op. 33. J'ignore où mes interlocuteurs plaçaient Oedipe, la 3e Sonate pour violon et piano, les oeuvres pour piano et les Suites orchestrales. Mais il est certain qu'en tête de leur liste noire se trouve la Symphonie de Chambre.


Un CD Forgotten Records. fr 859

La Symphonie de Chambre op. 33, ultime oeuvre du compositeur (qui dicta, malade, ses dernières consignes à Marcel Mihalovici en 1954) n'est certes pas populaire. Elle est construite de fragments thématiques, auxquels répondent des imitations de ces fragments, si bien qu'aucune pensée musicale cohérente ne paraît s'imposer à l'auditeur. Une musique décomposée, difficile d'accès et toute aussi rebutante que certains opus de l'Ecole de Vienne. Pour sa dernière partition, Enesco écrit une page courte - les trois mouvements durent en tout un peu plus d'un quart d'heure - et surprenante d'aridité. C'est du moins ce que laisse penser une écoute superficielle. Le vieux maître possédait toute la maîtrise d'un métier qui s'est enrichi des révolutions musicales du dernier romantisme et de l'époque moderne. Cette page exige une attention constante pour être comprise. C'est qu'elle offre un monde en soi : souvenirs d'enfance et pressentiment de la fin prochaine s'entremêlent, dans l'esprit de ce que fera plus tard Chostakovitch dans ses dernières symphonies. Enesco pense sans doute à son pays natal évoquant par endroit ses propres Suites pour orchestre.

Enesco aimait habiller la modernité de son langage avec des atours hérités du romantisme, chose qui l'a un peu trop fait vite fait passer pour rétrograde. Or il renonce ici à ce procédé : toute son originalité souverainement libre apparaît avec ce qu'elle comporte de cru, d'exigeant et de merveilleux. Musique rare, exceptionnelle d'intensité, et, contre tout préjugé, gorgée de la plus sincère émotion.

Le Dixtuor pour vents de 1906, première oeuvre disponible sur le même CD, est moins connue que l'Octuor pour cordes (1900) avec laquelle elle est souvent couplée. Enescu se souvient certes de Mendelssohn et Brahms - et peut être aussi de Dvořák - dans cette partition lyrique et foisonnante, mais affirme déjà une personnalité hors pair. 

Le CD (Ref. fr 859) publié par Forgotten Records restitue impeccablement la gravure de Constantin Silvestri à la tête des meilleurs solistes roumains de son temps pour chacune de ces deux oeuvres.

Le disque s'achève, toujours sous la direction de Silvestri, par le rare Concerto pour piano de Paul Constantinescu. L'orchestre est celui de l'ORTF, et le grand soliste roumain Valentin Gheorghiu est au piano. Constantinescu est un excellent compositeur, très expressif, dont nous avons souligné plusieurs fois sur ce site la valeur. On est un peu surpris par le caractère très post romantique de cette partition de 1952, proche de Rachmaninov parfois, héroïque, chantante, immédiatement accessible mais manquant bizarrement de cette hargne jubilatoire qui nous rend d'ordinaire l'art de Constantinescu si attachant. Il n'en reste pas moins ici une version de référence par des interprètes qui vivaient cette musique mieux que quiconque.

Alain Chotil-Fani, juillet 2014






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