J'interrogeai la vendeuse. Il me fut répondu que c'étaient des chansons de l'entre-deux guerres. Visiblement, la commerçante ne connaissait pas son produit, tant il était évident que le titre des ballades concernait les premières années du communisme roumain, autour des années 1950 : Guvernul comunist, Gheorghiu-Dej şi Hrusciov, Radio Bucureşti minte... Personne n'étant capable de m'en dire plus, j'ai acheté le double album et suis parti à la découverte d'une musique oubliée.
Mais qui est Jean Moscopol ? Le site moscopol.blogspot.com, qui lui est consacré, offre des informations intéressantes, d'où je tire les éléments biographiques suivants.
Né en 1903 à Brăila dans une famille d'origine grecque, J. Moscopol exerce différentes professions avant de choisir une carrière d'artiste en 1929. Il rejoint une troupe d'opérette bucarestoise puis parcourt le pays en tournée avec l'acteur Ion Manolescu. Il enregistre pour La voix de son maître environ 300 chansons, se rend à Berlin où il se produit avec des orchestres locaux et suit des cours de chant classique.
Après guerre, il choisit l'exil, avec l'aide de l'actrice Elvira Popesco. Il s'établit brièvement en Grèce, en Allemagne et en France pour enfin préférer les États-Unis d'Amérique.
A New York, Jean Moscopol ne retrouve pas sa célébrité d'avant-guerre. Il s'investit dans la vie de la diaspora roumaine et dirige la communauté de l'église Sfântu Dumitru. Il ne retourne au chant que pendant la décennie 1970, encouragé par le directeur du quotidien Universul Aristide Buhoiu. Il décède en 1980.
Le régime communiste a voulu effacer l'existence de Moscopol de la mémoire collective roumaine. Son expérience de chanteur de combat, comme l'on s'en rendra compte avec les extraits ci-dessous, ne pouvait naturellement qu'exciter la fureur de la censure totalitaire.
Ţară comunistă | Pays communiste |
Într-o ţară comunistă Cand eşti fire arivistă Şi-ai şi-un caracter sinistru Poţi ajunge repede ministru După ce-ncasezi la prime Şi te faci partaş la crime Eşti băgat la închisoare Şi-apoi condamnat pentru tradare | En pays communiste Quand tu es un fieffé arriviste Et que tu as un caractère sinistre Tu peux vite devenir ministre. Puis toucher des primes Qui te rendent complice du crime Tu es jeté en prison Puis condamné pour trahison |
Roata lumii se-nvarteşte, tzac, tzac, tzac. Si-orice crima se plateşte, tzanc, tzanc, tzanc. Comunismu-ntai te-ajută, tac, tac, tac Şi apoi, te execută, pac, pac, pac | La roue du monde tourne, tzac, tzac, tzac Et chaque crime se paye, tzanc, tzanc, tzanc. D'abord, le communisme t’aide, chut, chut, chut Et ensuite t’exécute, pan, pan, pan. |
Cand sovieto-comitetul Îţi cere-autoportretul Asta-i semn ca nu-i mai placi Şi c-autocritic-ai sa-ţi faci. După ce-ti gasesc ei buba Urmeaza autoduba. Si-apoi toată istoria Se termină cu autopsia | Quand le comité soviétique Demande ton autoportrait Cela signifie que tu ne lui plais plus Et que tu dois faire ton autocritique. Après t'avoir trouvé un défaut Arrive le panier à salade. Et enfin toute cette histoire Se finit en autopsie. |
Roata lumii se-nvarteşte, tzac, tzac, tzac. Si-orice crima se plateşte, tzanc, tzanc, tzanc. Comunismu-ntai te-ajută, tac, tac, tac Şi apoi, te execută, pac, pac, pac. (coup de feu) | La roue du monde tourne, tzac, tzac, tzac Et chaque crime se paye, tzanc, tzanc, tzanc. D'abord, le communisme t’aide, chut, chut, chut Et ensuite t’exécute, pan, pan, pan. |
Jean Moscopol utilise des airs populaires très connus pour y plaquer ses diatribes. Un autre exemple se trouve dans Guvernul comunist dans lequel l'artiste règle ses comptes avec l'écrivain Mihail Sadoveanu (1880 - 1961), adepte de la collaboration, et avec un certain Bălăceanu que je n'ai pas identifié avec précision.
La chanson est disponible ici :
www.trilulilu.ro/lauvoi/3fb5754bcb7501
Guvernul comunist | Gouvernement communiste |
Ce frumoasă e este viaţă Când esti chior şi prost ca ţaţa Şi ajungi din potcovar În guvern subsecretar | Que cette vie est belle Quand, borgne et bête comme un plouc, Tu quittes l’atelier du maréchal-ferrant Pour devenir sous-secrétaire du gouvernement |
Ce frumos e când vin Ruşii Şi îti spun din două soluţii Cum să vorbeşti cum să taci Şi pe apostolu să faci | Qu’il est beau, quand viennent les Russes, Et qu’ils te posent leurs deux options Comment parler et comment se taire Et comment exercer ton sacerdoce. |
Ce frumos e este viaţă Când să spui te ţine aţa Că ne vine bat-o vina Pe la răsărit lumina | Que cette vie est belle Quand on te force à dire Que (pourquoi le taire) Du levant vient la lumière |
Ce frumos e să ai ceafă Şi de la soviete leafă Să fi frate cu duşmanu Şi să sa-ti zica Sadoveanu | Qu’il est beau d’avoir une nuque Et un salaire des Soviets D’être frère avec l’ennemi Et de s’appeler Sadoveanu |
Ce frumoasă e este viaţă Când nu te apuca greata Sa-i tot perii pe intruşi Şi sa-i tamâiezi pe Ruşi | Que cette vie est belle Quand la nausée t’est étrangère Que tu caresses les intrus Et encenses les Russes |
Bălăceanu te numeşti Fiindca în ţara RPR-istă Cu nesatz te bălăceşti În mocirla comunistă | Bălăceanu tu t’appelles Dans la République Populaire Socialiste Et avec délices tu patauges Dans la fange communiste |
On aura sans doute du mal à se figurer que l'auteur de ces lignes était, dans sa jeunesse, l'équivalent roumain des chanteurs de charme de l'entre-deux guerres, comme Maurice Chevalier ou Tino Rossi. Sa volonté de transcender par son art son combat pour la liberté est tout à son honneur.
Sources
- Site de référence moscopol.blogspot.com
- Un article du quotidien Jurnalul (http://colectie.jurnalul.ro/stire-jean-moscopol/urmasul-lui-tanase-318783.html)
- Quelques extraits musicaux chez http://www.trilulilu.ro/JuliaAgripina/ff543ac0484a5f
Sauf mention contraire, les traductions sont réalisées par l'auteur de l'article.
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