mercredi 19 août 2009

Les chansons anticommunistes de Jean Moscopol

De passage à Bucarest j'ai réalisé mon tour rituel des rares disquaires. Au magasin Muzică de la rue Calea Victoriei, déçu par une maigre collecte au rayon classique, j'ai choisi de musarder au gré des collections populaires. Un curieux album a alors attiré mon regard, avec son dessin malhabile d'électrophone de l'après-guerre. "Cântece de dragoste", "Chansons d'amour", dit le titre. Pas ma tasse de thé. Mais immédiatement au-dessous : "Balade şi cuplete anticomuniste". Des chants roumains anticommunistes ? Je n'en avais jamais entendu parler. L'auteur est un certain Jean Moscopol. Inconnu.

J'interrogeai la vendeuse. Il me fut répondu que c'étaient des chansons de l'entre-deux guerres. Visiblement, la commerçante ne connaissait pas son produit, tant il était évident que le titre des ballades concernait les premières années du communisme roumain, autour des années 1950 : Guvernul comunist, Gheorghiu-Dej şi Hrusciov, Radio Bucureşti minte... Personne n'étant capable de m'en dire plus, j'ai acheté le double album et suis parti à la découverte d'une musique oubliée.

Mais qui est Jean Moscopol ? Le site moscopol.blogspot.com, qui lui est consacré, offre des informations intéressantes, d'où je tire les éléments biographiques suivants.

Né en 1903 à Brăila dans une famille d'origine grecque, J. Moscopol exerce différentes professions avant de choisir une carrière d'artiste en 1929. Il rejoint une troupe d'opérette bucarestoise puis parcourt le pays en tournée avec l'acteur Ion Manolescu. Il enregistre pour La voix de son maître environ 300 chansons, se rend à Berlin où il se produit avec des orchestres locaux et suit des cours de chant classique.
Après guerre, il choisit l'exil, avec l'aide de l'actrice Elvira Popesco. Il s'établit brièvement en Grèce, en Allemagne et en France pour enfin préférer les États-Unis d'Amérique.
A New York, Jean Moscopol ne retrouve pas sa célébrité d'avant-guerre. Il s'investit dans la vie de la diaspora roumaine et dirige la communauté de l'église Sfântu Dumitru. Il ne retourne au chant que pendant la décennie 1970, encouragé par le directeur du quotidien Universul Aristide Buhoiu. Il décède en 1980.

Le régime communiste a voulu effacer l'existence de Moscopol de la mémoire collective roumaine. Son expérience de chanteur de combat, comme l'on s'en rendra compte avec les extraits ci-dessous, ne pouvait naturellement qu'exciter la fureur de la censure totalitaire.
Le double CD est édité par Star Media Music, réf. SMM 008 "Jean Moscopol - Cântece de dragoste / Balade şi cuplete anticomuniste". Ce label a son propre site web (www.starmediamusic.com) mais, au moment où je rédige ces lignes, il ne répond pas (les mauvaises langues diront : comme souvent en Roumanie).

Ţară comunistă (Pays communiste) est une mise en boîte des pratiques dictatoriales, loin des idéaux philanthropes et égalitaristes affichés par la propagande. Féroce ? Pas réellement si l'on songe que la réalité n'était pas moins abjecte que la situation ici raillée, sur un air déjà connu intitulé Morăriţei. Pour écouter, cliquer ici (nouvelle fenêtre).

Ţară comunistă

Pays communiste


Într-o ţară comunistă

Cand eşti fire arivistă

Şi-ai şi-un caracter sinistru

Poţi ajunge repede ministru

După ce-ncasezi la prime

Şi te faci partaş la crime

Eşti băgat la închisoare

Şi-apoi condamnat pentru tradare

En pays communiste

Quand tu es un fieffé arriviste

Et que tu as un caractère sinistre

Tu peux vite devenir ministre.

Puis toucher des primes

Qui te rendent complice du crime

Tu es jeté en prison

Puis condamné pour trahison

Roata lumii se-nvarteşte, tzac, tzac, tzac.

Si-orice crima se plateşte, tzanc, tzanc, tzanc.

Comunismu-ntai te-ajută, tac, tac, tac

Şi apoi, te execută, pac, pac, pac

La roue du monde tourne, tzac, tzac, tzac

Et chaque crime se paye, tzanc, tzanc, tzanc.

D'abord, le communisme t’aide, chut, chut, chut

Et ensuite t’exécute, pan, pan, pan.



Cand sovieto-comitetul

Îţi cere-autoportretul

Asta-i semn ca nu-i mai placi

Şi c-autocritic-ai sa-ţi faci.

După ce-ti gasesc ei buba

Urmeaza autoduba.

Si-apoi toată istoria

Se termină cu autopsia

Quand le comité soviétique

Demande ton autoportrait

Cela signifie que tu ne lui plais plus

Et que tu dois faire ton autocritique.

Après t'avoir trouvé un défaut

Arrive le panier à salade.

Et enfin toute cette histoire

Se finit en autopsie.

Roata lumii se-nvarteşte, tzac, tzac, tzac.

Si-orice crima se plateşte, tzanc, tzanc, tzanc.

Comunismu-ntai te-ajută, tac, tac, tac

Şi apoi, te execută, pac, pac, pac.

(coup de feu)

La roue du monde tourne, tzac, tzac, tzac

Et chaque crime se paye, tzanc, tzanc, tzanc.

D'abord, le communisme t’aide, chut, chut, chut

Et ensuite t’exécute, pan, pan, pan.


Jean Moscopol utilise des airs populaires très connus pour y plaquer ses diatribes. Un autre exemple se trouve dans Guvernul comunist dans lequel l'artiste règle ses comptes avec l'écrivain Mihail Sadoveanu (1880 - 1961), adepte de la collaboration, et avec un certain Bălăceanu que je n'ai pas identifié avec précision.

La chanson est disponible ici :
www.trilulilu.ro/lauvoi/3fb5754bcb7501

Guvernul comunist

Gouvernement communiste

Ce frumoasă e este viaţă

Când esti chior şi prost ca ţaţa

Şi ajungi din potcovar

În guvern subsecretar

Que cette vie est belle

Quand, borgne et bête comme un plouc,

Tu quittes l’atelier du maréchal-ferrant

Pour devenir sous-secrétaire du gouvernement

Ce frumos e când vin Ruşii

Şi îti spun din două soluţii

Cum să vorbeşti cum să taci

Şi pe apostolu să faci

Qu’il est beau, quand viennent les Russes,

Et qu’ils te posent leurs deux options

Comment parler et comment se taire

Et comment exercer ton sacerdoce.

Ce frumos e este viaţă

Când să spui te ţine aţa

Că ne vine bat-o vina

Pe la răsărit lumina

Que cette vie est belle

Quand on te force à dire

Que (pourquoi le taire)

Du levant vient la lumière

Ce frumos e să ai ceafă

Şi de la soviete leafă

Să fi frate cu duşmanu

Şi să sa-ti zica Sadoveanu

Qu’il est beau d’avoir une nuque

Et un salaire des Soviets

D’être frère avec l’ennemi

Et de s’appeler Sadoveanu

Ce frumoasă e este viaţă

Când nu te apuca greata

Sa-i tot perii pe intruşi

Şi sa-i tamâiezi pe Ruşi

Que cette vie est belle

Quand la nausée t’est étrangère

Que tu caresses les intrus

Et encenses les Russes

Bălăceanu te numeşti

Fiindca în ţara RPR-istă

Cu nesatz te bălăceşti

În mocirla comunistă

Bălăceanu tu t’appelles

Dans la République Populaire Socialiste

Et avec délices tu patauges

Dans la fange communiste


On aura sans doute du mal à se figurer que l'auteur de ces lignes était, dans sa jeunesse, l'équivalent roumain des chanteurs de charme de l'entre-deux guerres, comme Maurice Chevalier ou Tino Rossi. Sa volonté de transcender par son art son combat pour la liberté est tout à son honneur.

Sources


Sauf mention contraire, les traductions sont réalisées par l'auteur de l'article.

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