Le label roumain Intercont Music propose enfin des CD consacrés au prometteur violoniste Alexandru Tomescu. Deux albums en duo, avec le pianiste Horia Mihail.
Stradivarius Encore (IMCD 1323) offre seize petites pièces en forme de bis. Programme convenu ? Pas vraiment. Si Kreisler, Sarasate ou Massenet avec son impérissable Méditation de Thaïs sont au programme, l'on note aussi la Balade de Porumbescu, célèbre en Roumanie mais inconnue partout ailleurs. Tomescu illustre avec une tendresse infinie cette pièce méditative et occasionnellement virtuose, prenant soin de faire sonner à sa juste mesure le stradivarius Elder-Voicu dont il est le dépositaire et qu'il aurait été dommage de laisser dormir dans un musée. Les mêmes qualités se retrouvent dans la Méditation de Thaïs. A noter le jeu tout en finesse du pianiste Horia Mihail, partenaire si précieux dans un répertoire peu gratifiant pour l'accompagnateur.
J'ai toujours trouvé les Liebeslied et Liebesfreud de Kreisler insupportables, et tout l'art du violoniste, aussi irréprochable soit-il, ne réussit pas à m'en faire démordre ; petite contrariété heureusement tempérée par la superbe Danse Slave de Dvořák, transcrite par le même Kreisler. Sentiments identiques avec le célèbre Zapateado de Sarasate, où jamais le plaisir du jeu et de l'écoute n'est gâché par la contrainte technique.
Plus rares : une Habanera de Capoianu, enlevée avec une grâce digne de Stéphane Grappelli, et une transcription de l'Adagio de la Suite pour piano dans le style ancien d'Enesco, arche rêveuse et si intense dans cette vision passionnée.
Cette affiche est complétée par Sibelius (Humoresque n° 5, très Belle-Époque) et quatre grands Russes.
Le Gopak de Moussorgski est servi avec la sauvagerie qui convient à son tempérament, à l'opposé de la si convenue Vocalise de Rachmaninov que l'on pourra préférer, à tout prendre, dans une version avec soprano. Mais la surprise vient surtout des quatre Préludes de Chostakovich, doux-amers et grimaçants, proches en cela de la Marche des Trois Oranges de Prokofiev qui clôt le récital, tout en traits sournois et rythmes implacables.
En dépit d'une présentation indigente - pas la moindre notice, verso du CD en langue roumaine uniquement - l'on veut espérer que cette carte de visite serve la réputation de Tomescu au-delà de son pays.
Le second album est, de façon assez démagogique, intitulé Virtuoso Stradivarius (IMCD 1346). Il est mieux conçu que le premier, car accompagné d'une notice. Hélas, elle n'est qu'en Roumain. Merci pour les mélomanes étrangers !
Il s'agit ici de pièces plus vastes (de 7 à 13 minutes pour la plupart). L'on peut regretter le choix de deux pièces sirupeuses de Tchaikovski (la valse-scherzo op. 34 et la 3e Mélodie de l'opus 42), compositeur si attachant par ailleurs, pour savourer en revanche la prestation des artistes dans l'Introduction et Rondo Capriccioso de Camille Saint-Saëns. La pièce est non seulement jouée avec une bonhomie communicative, mais avec une parfaite compréhension des ressorts humoristiques de cette œuvre, trop souvent prise à la hussarde et ici admirablement restituée. Chose évidemment rendue possible par l'impeccable maîtrise technique de la partition, ce qui n'est pas peu dire.
Paganini est au programme, avec Le Streghe (Danse des sorcières) et les Variations sur une seule corde sur des thèmes de l'opéra Moïse de Rossini. Dois-je avouer un profond manque d'intérêt pour cette musique vouée à la seule virtuosité ? Aussi me bornerai-je à souligner la dextérité de Tomescu, époustouflante, au service de bien peu de chose en vérité. Much ado about nothing ! En contraste, salutaire Pablo de Sarasate avec sa Mélodie tzigane (Zigeunerweisen) op. 20, sincère hommage rendu aux laoutars d'Europe centrale, sans profondeur factice mais avec une verve assumée. Prestation pleine de chic du violoniste, un peu trop discrète peut-être du pianiste qui peine à faire entendre ses imitations du cymbalum dans l'exubérant finale.
Les deux œuvres du Polonais Wieniawski complètent heureusement le programme. La belle Légende op. 17 aux accents mystérieux se développe en nobles cantilènes alors que les Variations sur un thème original op. 15, enjouées et pyrotechniques, offrent une agréable conclusion à un récital bienvenu.
Bienvenu, certes, mais avec un arrière-goût un peu mitigé ; Alexandru Tomescu est un violoniste de très grand talent, cela semble acquis, mais la concurrence est aujourd'hui si élevée que l'on ne saurait dire si ces quelques pièces à l'intérêt inégal suffiront à sa reconnaissance. L'on ne peut qu'encourager les agents artistiques à lui proposer enfin un répertoire à la mesure de son art : les sonates, les grands concertos, non seulement classiques et romantiques mais d'un XXe siècle encore trop délaissé. Et, puisque nous parlons d'un artiste des Carpates, à quand Tomescu dans le Caprice Roumain de Georges Enesco ?
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