Que connaissons-nous de Georges Enesco ? Pas grand-chose, probablement, et rares sont les mélomanes conscients de l'importance de ce musicien. A la fois virtuose du violon, compositeur, pédagogue et infatigable animateur de la vie musicale de son pays, Enesco a pourtant fortement marqué tout un chapitre de l'histoire musicale au XXe siècle.
Le mélomane contemporain peut assez facilement se procurer ses oeuvres et se forger sa propre opinion. Autant prévenir que cette découverte n'est pas toujours aisée. La musique d'Enesco peut être d'accès ardu et déconcerter l'auditeur, tout comme la radicalité des jugements à son encontre. Tandis que certains prennent au pied de la lettre l'hyperbole de Pablo Casals selon laquelle Enesco incarnait "le plus étonnant génie musical depuis Mozart", d'autres gardent un silence tenace. Et entre ces deux extrêmes, l'on ne trouve quasiment... rien. Il n'est pas sûr que cette situation desserve une meilleure connaissance du compositeur. Certains grands classiques du XXe siècle sont aujourd'hui identifiés à peu près indiscutablement : qui saurait nier la présence de Sibelius, Chostakovich, Janacek, Bartok, Stravinski ou Ligeti parmi les incontournables ? Or, il ne nous paraît pas évident que le nom d'Enesco en fasse partie aussi nettement.
N'accordons pas trop d'importance aux déclarations dithyrambiques, souvent anecdotiques et sorties de leur contexte. Elles ne nous disent rien sur la valeur de son oeuvre et même nuisent à son appréciation objective. Au contraire, attachons-nous à découvrir un artiste de grande valeur par la seule écoute de ses oeuvres.
La courte biographie ci-dessous a été rédigée par mes soins en 1999, à partir de sources roumaines. Je l'ai remaniée avant publication sur ce site.
Georges Enesco naît le 19 août 1881 en Moldavie, province moldo-valaque. Son village natal n'apparaît pas sur les cartes actuelles : il a été rebaptisé George Enescu en l'honneur de l'enfant du pays. A quelques kilomètres de là naquit également Mihail Eminescu (1850 - 1889), illustre poète national. Costache, le père de George, est administrateur terrien. De nature curieuse, doté d'une grande mémoire, il a appris le latin et le français en autodidacte et a voyagé à travers l'Europe. Il joue très convenablement du violon et dirige même à l'occasion des chorales. Sa femme, Maria, l'accompagne souvent à la guitare. Mais elle souffre d'une terrible malédiction : quatre de ses enfants sont morts-nés; les sept autres sont morts avant d'atteindre la maturité. Le plus âgé n'avait que 12 ans... Sur le conseil avisé du guérisseur local, les parents confient le petit George à une nourrice. Cela sauva certainement la vie du nouveau-né, car il est vraisemblable que Maria transmettait la turberculose à travers son lait.
Très rapidement, Georges révèle une véritable passion pour les groupes de lautars, musiciens itinérants. Il réclame un violon, rejette le jouet qu'on lui offre tout d'abord mais s'emploie à maîtriser le petit violon véritable, cette fois-ci, que son père lui apporte. Un violoniste ambulant le prend en affection et lui enseigne les premiers rudiments de son art. Enesco donne son premier concert à l'âge de 5 ans. Son père décide de le présenter à Eduard Caudella, l'un des plus grands compositeurs roumains de cette époque et directeur du Conservatoire de Iaşi, capitale de la Moldavie. Mais le jeune Enesco est à la fois buté et orgueilleux : il refuse de jouer devant Caudella tant que celui-ci ne lui a pas prouvé qu'il était capable de lui enseigner quelque chose !
Le directeur du Conservatoire, heureusement, prend avec humour la réaction du garçon et accepte de jouer une brève pièce au violon. Caudella n'est pas un très grand violoniste, mais ce qu'entend Enesco le comble. Quelle musique extraordinaire, si différente de celle que jouent les lautars !
Enesco apprend les bases de la musique savante. Quand Caudella le revoit, quelques années plus tard, il prend conscience que la culture nationale a peut-être enfin trouvé avec Enesco le très grand musicien que la Roumanie n'a jamais pu avoir. Une nation si riche musicalement a gâché un nombre considérable de talents à cause du manque de moyens, de sérieux ou tout simplement d'intérêt... Le génie en devenir d'Enesco doit s'épanouir à l'étranger. Caudella conseille à Costache d'inscrire son fils au Conservatoire de Vienne. Bien des années plus tard, le vieux maître de Iaşi écrira un concerto pour violon dédié à son ancien élève.
A Vienne, Enesco suit l'enseignement du célèbre violoniste Hellmesberger, de Robert Fuchs, de Sigismond Bachrich. Tous reconnaissent les aptitudes du jeune Roumain qui, à douze ans, joue avec grand succès les partitions de Sarasate, Vieuxtemps, Mendelssohn et même Brahms, qui déclare son admiration. Enesco est pour sa part subjugué par la beauté du quintette avec clarinette de Brahms où il croit percevoir les échos de son lointain pays - alors que par les délicates harmonies de l'oeuvre, Brahms évoque l'immense plaine hongroise, la puzta. Vienne lui offre ses premier opéras : il découvre Verdi, Mozart, Wagner, Massenet, Donizetti, Gounod, etc. Mais la capitale autrichienne, devenue la ville des plaisirs, fait la part belle à l'opérette. Le centre musical du monde, dorénavant, est Paris où une génération de compositeurs d'exception est en train de voir le jour. Hellmesberger recommande Enesco à Jules Massenet. En 1895, le Roumain, décoré de la médaille d'argent du Conservatoire de Vienne, rejoint la capitale française.
Au Conservatoire de Paris, il suit les cours de violon de Marsick, étudie le contrepoint avec André Geldage et la composition avec Massenet, remplacé l'année suivante par Gabriel Fauré. Les camarades de classe d'Enesco se nomment Maurice Ravel, Roger-Ducasse, Florent Schmitt... L'étudiant en musique Georges Enesco est déjà un compositeur fertile. De ces années datent les quatre symphonies de jeunesse, les premières oeuvres de musique de chambre, quelques mélodies et surtout la suite symphonique Poème Roumain, créée avec grand succès le 6 février 1898. Paris est sous le charme de ce jeune homme que la presse a déjà surnommé "Le nouveau Mozart", sucitant la jalousie d'une partie du monde musical, se refusant de lui décerner la médaille d'or pour sa première apparition au concours du conservatoire. Enesco l'obtiendra l'année suivante, en présentant un concerto de Camille Saint-Saëns.
Dès lors, les oeuvres d'Enesco sont attendues par un large public et se répandent rapidement. Les plus grands interprètes défendent ses rhapsodies roumaines (1901 - 1902), sa première suite pour orchestre (1903) et sa première symphonie (1905) : Edouard Colonne et Gabriel Pierné en France, Gustav Mahler et Walter Damrosh à New York, Arthur Fiedler à Boston, Henry Wood en Angleterre, Willem Mengelberg aux Pays-Bas.
Mais le style d'Enesco, de plus en plus élaboré, rebute les interprètes. L'octuor pour cordes (1900) consacre la rupture. Cette oeuvre est jugée trop difficile par Edouard Colonne et est retirée des répétitions : "c'est horriblement beau.... c'est même plus horrible que beau !" entend dire Enesco au cours des répétitions. La courte Symphonie concertante pour violoncelle et orchestre est médiocrement accueillie : "c'est une symphonie... déconcertante" ! s'amuse le public parisien.
Enesco doit vivre, à son coeur défendant, de ses dons d'interprète. Il est certes un violoniste admirable. On le découvre aussi excellent pianiste et chef hors pair. Il donne des concerts avec Alfredo Casella, Pablo Casals, Oskar Nedbal, Gabriel Fauré, Richard Strauss... Il voyage à travers l'Europe, jusqu'en Russie (tournée de 1909). Dans sa Roumanie natale il dirige en 1913 les premières auditions des Maîtres Chanteurs et le Voyage de Siegfried sur le Rhin de Wagner. Durant la première guerre mondiale, il s'établit en Roumanie. Il y crée la neuvième symphonie de Beethoven, jamais encore donnée intégralement à Bucarest, ainsi que Roméo et Juliette et la Damnation de Faust de Berlioz, les Nocturnes de Debussy, la seconde symphonie de Borodine et le 3ème acte du Parsifal de Wagner. Enesco y crée également ses propres compositions : sa seconde symphonie (1913) et sa deuxième suite pour orchestre (1915). La même année a lieu la première édition du concours George Enescu. La guerre terminée, Enesco reprend une existence partagée entre la France et la Roumanie. Tout en composant - certaines de ses oeuvres sont mûries pendant des années entières - il doit continuer à donner des concerts pour assurer son existence.
Son activité de pédagogue prend aussi une importance considérable : Dinu Lipatti (1917 - 1950) est son élève. D'abord destiné au violon, il devient rapidement l'un des plus talentueux pianistes du siècle. Ses interprétations de Bach, Schumann ou Chopin font encore aujourd'hui le bonheur des mélomanes. Ses dons de compositeur, encouragés par Enesco, sont moins connus et attendent toujours leur réhabilitation.
Yehudi Menuhin (1916 - 1999) doit l'épanouissement de son génie de violoniste à Georges Enesco. Cet enfant prodige trouve lui le maître qui saura guider son évolution de la meilleure des façons. Enesco se souvient alors de ses propres débuts quand il se rendit à Iaşi pour rencontrer Caudella !
Tout le génie de Menuhin est transcendé par l'enseignement d'Enesco, privilégiant toujours la musique et refusant la virtuosité si séduisante pour susciter l'adhésion du grand public. Celui-ci inculque également une solide culture humaniste au jeune violoniste, un enseignement qui trouvera une illustration exemplaire quand Yehudi Menuhin prendra après-guerre la défense de Furtwängler et donnera plusieurs concerts avec le chef allemand.
Malgré son activité épuisante d'interprète, ponctuée de tournées aux Etats-Unis, où il joue avec Stokovski, en Pologne et en Roumanie - il y donne la première audition, en 1924, de la seconde sonate pour violon et piano de Béla Bartók, le compositeur étant au piano -, Enesco parvient à composer ce qui compte parmi ses oeuvres les plus remarquables : la troisième sonate pour violon et piano dans le caractère Populaire Roumain (1926), l'opéra Oedipe (1923 - 1930), les sonates pour piano (1924 - 1934), la troisième suite pour orchestre dite Paysanne (1938).
Quand la seconde guerre mondiale éclate, Enesco se réfugie de nouveau dans son pays natal. Il s'investit pleinement dans la vie musicale bucarestoise. Il tient le premier violon au cours d'un cycle intégral des quatuors de Beethoven, malgré le faible intérêt du public réclamant des oeuvres moins exigeantes. Il dirige le requiem de Fauré et, après l'armistice, la symphonie n° 7 "Leningrad" de Chostakovich. Le chef titulaire de la Philharmonie de Bucarest, Georges Georgescu, est envoyé diriger à travers l'Europe occupée à des fins de propagande. Enesco s'emploie à diriger la Philharmonie pour que l'orchestre ne soit pas dissout. Après la guerre, il luttera pour que Georgescu retrouve son poste titulaire.
Enesco est un défenseur infatigable de la musique contemporaine roumaine : il joue des œuvres de Constantin Silvestri, Mihail Jora, Ionel Perlea, Marţian Negrea, Sabin Drăgoi, des compositeurs qu'il encourage inlassablement. A ce sujet on peut regretter aujourd'hui la faible diffusion de cette musique.
Il compose moins. Les seules oeuvres de cette décennie sont les remarquables Impressions d'enfance pour violon et piano (1940, dédié à son professeur Eduard Caudella), le quatuor avec piano n. 2 (1944) et l'ouverture de concert sur des motifs dans le caractère roumain (1948). Après la guerre Enesco donne des concerts avec ses amis David Oistrakh, Lev Oborin, Emil Ghilels, et avec ses anciens élèves Yehudi Menuhin et Dinu Lipatti. Le régime communiste roumain nationalise en 1948 une grande partie de ses biens. Il s'exile définitivement. Enesco a 68 ans et son jeu de violon est incertain. Réfugié à Paris, il compose en 1954 sa symphonie de chambre pour douze instruments solistes avant de s'éteindre dans la nuit du 3 au 4 mai 1955.
Si'il a réussi à quasiment terminer son poème symphonique Vox Maris, il laisse d'autres oeuvres inachevées. Ses deux dernières symphonies seront restaurées par Pascal Bentoiu alors que Cornel Taranu et Serban Lupu parviendront à faire renaître le Caprice roumain, seule oeuvre d'Enesco de grande ampleur pour violon et orchestre.
Le mélomane contemporain peut assez facilement se procurer ses oeuvres et se forger sa propre opinion. Autant prévenir que cette découverte n'est pas toujours aisée. La musique d'Enesco peut être d'accès ardu et déconcerter l'auditeur, tout comme la radicalité des jugements à son encontre. Tandis que certains prennent au pied de la lettre l'hyperbole de Pablo Casals selon laquelle Enesco incarnait "le plus étonnant génie musical depuis Mozart", d'autres gardent un silence tenace. Et entre ces deux extrêmes, l'on ne trouve quasiment... rien. Il n'est pas sûr que cette situation desserve une meilleure connaissance du compositeur. Certains grands classiques du XXe siècle sont aujourd'hui identifiés à peu près indiscutablement : qui saurait nier la présence de Sibelius, Chostakovich, Janacek, Bartok, Stravinski ou Ligeti parmi les incontournables ? Or, il ne nous paraît pas évident que le nom d'Enesco en fasse partie aussi nettement.
N'accordons pas trop d'importance aux déclarations dithyrambiques, souvent anecdotiques et sorties de leur contexte. Elles ne nous disent rien sur la valeur de son oeuvre et même nuisent à son appréciation objective. Au contraire, attachons-nous à découvrir un artiste de grande valeur par la seule écoute de ses oeuvres.
La courte biographie ci-dessous a été rédigée par mes soins en 1999, à partir de sources roumaines. Je l'ai remaniée avant publication sur ce site.
Georges Enesco naît le 19 août 1881 en Moldavie, province moldo-valaque. Son village natal n'apparaît pas sur les cartes actuelles : il a été rebaptisé George Enescu en l'honneur de l'enfant du pays. A quelques kilomètres de là naquit également Mihail Eminescu (1850 - 1889), illustre poète national. Costache, le père de George, est administrateur terrien. De nature curieuse, doté d'une grande mémoire, il a appris le latin et le français en autodidacte et a voyagé à travers l'Europe. Il joue très convenablement du violon et dirige même à l'occasion des chorales. Sa femme, Maria, l'accompagne souvent à la guitare. Mais elle souffre d'une terrible malédiction : quatre de ses enfants sont morts-nés; les sept autres sont morts avant d'atteindre la maturité. Le plus âgé n'avait que 12 ans... Sur le conseil avisé du guérisseur local, les parents confient le petit George à une nourrice. Cela sauva certainement la vie du nouveau-né, car il est vraisemblable que Maria transmettait la turberculose à travers son lait.
Très rapidement, Georges révèle une véritable passion pour les groupes de lautars, musiciens itinérants. Il réclame un violon, rejette le jouet qu'on lui offre tout d'abord mais s'emploie à maîtriser le petit violon véritable, cette fois-ci, que son père lui apporte. Un violoniste ambulant le prend en affection et lui enseigne les premiers rudiments de son art. Enesco donne son premier concert à l'âge de 5 ans. Son père décide de le présenter à Eduard Caudella, l'un des plus grands compositeurs roumains de cette époque et directeur du Conservatoire de Iaşi, capitale de la Moldavie. Mais le jeune Enesco est à la fois buté et orgueilleux : il refuse de jouer devant Caudella tant que celui-ci ne lui a pas prouvé qu'il était capable de lui enseigner quelque chose !
Le directeur du Conservatoire, heureusement, prend avec humour la réaction du garçon et accepte de jouer une brève pièce au violon. Caudella n'est pas un très grand violoniste, mais ce qu'entend Enesco le comble. Quelle musique extraordinaire, si différente de celle que jouent les lautars !
Enesco apprend les bases de la musique savante. Quand Caudella le revoit, quelques années plus tard, il prend conscience que la culture nationale a peut-être enfin trouvé avec Enesco le très grand musicien que la Roumanie n'a jamais pu avoir. Une nation si riche musicalement a gâché un nombre considérable de talents à cause du manque de moyens, de sérieux ou tout simplement d'intérêt... Le génie en devenir d'Enesco doit s'épanouir à l'étranger. Caudella conseille à Costache d'inscrire son fils au Conservatoire de Vienne. Bien des années plus tard, le vieux maître de Iaşi écrira un concerto pour violon dédié à son ancien élève.
A Vienne, Enesco suit l'enseignement du célèbre violoniste Hellmesberger, de Robert Fuchs, de Sigismond Bachrich. Tous reconnaissent les aptitudes du jeune Roumain qui, à douze ans, joue avec grand succès les partitions de Sarasate, Vieuxtemps, Mendelssohn et même Brahms, qui déclare son admiration. Enesco est pour sa part subjugué par la beauté du quintette avec clarinette de Brahms où il croit percevoir les échos de son lointain pays - alors que par les délicates harmonies de l'oeuvre, Brahms évoque l'immense plaine hongroise, la puzta. Vienne lui offre ses premier opéras : il découvre Verdi, Mozart, Wagner, Massenet, Donizetti, Gounod, etc. Mais la capitale autrichienne, devenue la ville des plaisirs, fait la part belle à l'opérette. Le centre musical du monde, dorénavant, est Paris où une génération de compositeurs d'exception est en train de voir le jour. Hellmesberger recommande Enesco à Jules Massenet. En 1895, le Roumain, décoré de la médaille d'argent du Conservatoire de Vienne, rejoint la capitale française.
Au Conservatoire de Paris, il suit les cours de violon de Marsick, étudie le contrepoint avec André Geldage et la composition avec Massenet, remplacé l'année suivante par Gabriel Fauré. Les camarades de classe d'Enesco se nomment Maurice Ravel, Roger-Ducasse, Florent Schmitt... L'étudiant en musique Georges Enesco est déjà un compositeur fertile. De ces années datent les quatre symphonies de jeunesse, les premières oeuvres de musique de chambre, quelques mélodies et surtout la suite symphonique Poème Roumain, créée avec grand succès le 6 février 1898. Paris est sous le charme de ce jeune homme que la presse a déjà surnommé "Le nouveau Mozart", sucitant la jalousie d'une partie du monde musical, se refusant de lui décerner la médaille d'or pour sa première apparition au concours du conservatoire. Enesco l'obtiendra l'année suivante, en présentant un concerto de Camille Saint-Saëns.
Dès lors, les oeuvres d'Enesco sont attendues par un large public et se répandent rapidement. Les plus grands interprètes défendent ses rhapsodies roumaines (1901 - 1902), sa première suite pour orchestre (1903) et sa première symphonie (1905) : Edouard Colonne et Gabriel Pierné en France, Gustav Mahler et Walter Damrosh à New York, Arthur Fiedler à Boston, Henry Wood en Angleterre, Willem Mengelberg aux Pays-Bas.
Mais le style d'Enesco, de plus en plus élaboré, rebute les interprètes. L'octuor pour cordes (1900) consacre la rupture. Cette oeuvre est jugée trop difficile par Edouard Colonne et est retirée des répétitions : "c'est horriblement beau.... c'est même plus horrible que beau !" entend dire Enesco au cours des répétitions. La courte Symphonie concertante pour violoncelle et orchestre est médiocrement accueillie : "c'est une symphonie... déconcertante" ! s'amuse le public parisien.
Enesco doit vivre, à son coeur défendant, de ses dons d'interprète. Il est certes un violoniste admirable. On le découvre aussi excellent pianiste et chef hors pair. Il donne des concerts avec Alfredo Casella, Pablo Casals, Oskar Nedbal, Gabriel Fauré, Richard Strauss... Il voyage à travers l'Europe, jusqu'en Russie (tournée de 1909). Dans sa Roumanie natale il dirige en 1913 les premières auditions des Maîtres Chanteurs et le Voyage de Siegfried sur le Rhin de Wagner. Durant la première guerre mondiale, il s'établit en Roumanie. Il y crée la neuvième symphonie de Beethoven, jamais encore donnée intégralement à Bucarest, ainsi que Roméo et Juliette et la Damnation de Faust de Berlioz, les Nocturnes de Debussy, la seconde symphonie de Borodine et le 3ème acte du Parsifal de Wagner. Enesco y crée également ses propres compositions : sa seconde symphonie (1913) et sa deuxième suite pour orchestre (1915). La même année a lieu la première édition du concours George Enescu. La guerre terminée, Enesco reprend une existence partagée entre la France et la Roumanie. Tout en composant - certaines de ses oeuvres sont mûries pendant des années entières - il doit continuer à donner des concerts pour assurer son existence.
Son activité de pédagogue prend aussi une importance considérable : Dinu Lipatti (1917 - 1950) est son élève. D'abord destiné au violon, il devient rapidement l'un des plus talentueux pianistes du siècle. Ses interprétations de Bach, Schumann ou Chopin font encore aujourd'hui le bonheur des mélomanes. Ses dons de compositeur, encouragés par Enesco, sont moins connus et attendent toujours leur réhabilitation.
Yehudi Menuhin (1916 - 1999) doit l'épanouissement de son génie de violoniste à Georges Enesco. Cet enfant prodige trouve lui le maître qui saura guider son évolution de la meilleure des façons. Enesco se souvient alors de ses propres débuts quand il se rendit à Iaşi pour rencontrer Caudella !
Tout le génie de Menuhin est transcendé par l'enseignement d'Enesco, privilégiant toujours la musique et refusant la virtuosité si séduisante pour susciter l'adhésion du grand public. Celui-ci inculque également une solide culture humaniste au jeune violoniste, un enseignement qui trouvera une illustration exemplaire quand Yehudi Menuhin prendra après-guerre la défense de Furtwängler et donnera plusieurs concerts avec le chef allemand.
Malgré son activité épuisante d'interprète, ponctuée de tournées aux Etats-Unis, où il joue avec Stokovski, en Pologne et en Roumanie - il y donne la première audition, en 1924, de la seconde sonate pour violon et piano de Béla Bartók, le compositeur étant au piano -, Enesco parvient à composer ce qui compte parmi ses oeuvres les plus remarquables : la troisième sonate pour violon et piano dans le caractère Populaire Roumain (1926), l'opéra Oedipe (1923 - 1930), les sonates pour piano (1924 - 1934), la troisième suite pour orchestre dite Paysanne (1938).
Quand la seconde guerre mondiale éclate, Enesco se réfugie de nouveau dans son pays natal. Il s'investit pleinement dans la vie musicale bucarestoise. Il tient le premier violon au cours d'un cycle intégral des quatuors de Beethoven, malgré le faible intérêt du public réclamant des oeuvres moins exigeantes. Il dirige le requiem de Fauré et, après l'armistice, la symphonie n° 7 "Leningrad" de Chostakovich. Le chef titulaire de la Philharmonie de Bucarest, Georges Georgescu, est envoyé diriger à travers l'Europe occupée à des fins de propagande. Enesco s'emploie à diriger la Philharmonie pour que l'orchestre ne soit pas dissout. Après la guerre, il luttera pour que Georgescu retrouve son poste titulaire.
Enesco est un défenseur infatigable de la musique contemporaine roumaine : il joue des œuvres de Constantin Silvestri, Mihail Jora, Ionel Perlea, Marţian Negrea, Sabin Drăgoi, des compositeurs qu'il encourage inlassablement. A ce sujet on peut regretter aujourd'hui la faible diffusion de cette musique.
Il compose moins. Les seules oeuvres de cette décennie sont les remarquables Impressions d'enfance pour violon et piano (1940, dédié à son professeur Eduard Caudella), le quatuor avec piano n. 2 (1944) et l'ouverture de concert sur des motifs dans le caractère roumain (1948). Après la guerre Enesco donne des concerts avec ses amis David Oistrakh, Lev Oborin, Emil Ghilels, et avec ses anciens élèves Yehudi Menuhin et Dinu Lipatti. Le régime communiste roumain nationalise en 1948 une grande partie de ses biens. Il s'exile définitivement. Enesco a 68 ans et son jeu de violon est incertain. Réfugié à Paris, il compose en 1954 sa symphonie de chambre pour douze instruments solistes avant de s'éteindre dans la nuit du 3 au 4 mai 1955.
Si'il a réussi à quasiment terminer son poème symphonique Vox Maris, il laisse d'autres oeuvres inachevées. Ses deux dernières symphonies seront restaurées par Pascal Bentoiu alors que Cornel Taranu et Serban Lupu parviendront à faire renaître le Caprice roumain, seule oeuvre d'Enesco de grande ampleur pour violon et orchestre.
Sources
- Enescu azi de Viorel Cosma
Editura Facla - Timisoara 1981 (en roumain)
- Enescu de Andrei Tudor
Editura muzicala - Bucarest 1958 (en roumain)
- Enescu - La râspantie de vremi
Film de Ada Brumaru en cassette VHS (en roumain et en français)