dimanche 25 novembre 2012

Zamfir : Messe pour la paix et oeuvres religieuses

L’on connaît assez bien en France le virtuose de la flûte de Pan, ou naï, Gheorghe (Georges) Zamfir. Voilà près de quatre décennies, Vladimir Cosma lui confiait un rôle de premier plan pour la bande originale du Grand blond avec une chaussure noire. Depuis lors, cette musique est dans toutes les mémoires, même si son origine roumaine n’est pas évidente pour l’homme de la rue. Mais Zamfir est plus qu’un interprète de talent : il a aussi arrangé des classiques et écrit des pièces religieuses. Dans les années 1970, il compose sa Messe pour la Paix, enregistrée et distribuée par la firme occidentale Philips.

Une Messe pour la paix, venue d’un pays qui ne portait dans son cœur, c’est le moins que l’on puisse dire, ni les messes, ni la paix ? Passons sur le non-sens grotesque d’une telle propagande, si fréquente alors, pour nous intéresser à la musique. L’œuvre de Zamfir n’a en réalité que de lointains rapports avec le culte : en dépit de quelques Alléluias du chœur, rien ne mettra la puce à l’oreille de l’auditeur non éclairé. Les cinq parties s’intitulent classiquement Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus et Agnus Dei.

L’effectif est vaste. Orchestre symphonique et ensemble folklorique, chœurs mixtes, orgue et flûtiste de Pan ! L’on pourrait craindre une surenchère stérile dans les effets, pourtant non : l’on découvre une l’orchestration soignée, au service d’un vrai sens de la narration. Le Kyrie émerge du chaos par différentes vagues – cordes, voix de femmes puis d’hommes et enfin la flûte de Pan. Une doïna méditative s’efface au profit du thème populaire qui parcourra toute l’œuvre : la chanson « La Murfatlar » au rythme de danse enlevée. Murfatlar est une localité proche de la Mer Noire, célèbre pour ses vignobles. « La Murfatlar » signifie simplement « à Murflatlar » - un hommage à ce que l’on imagine être une région de joyeuse insouciance, entre littoral gorgé de soleil et boissons enivrantes. Une autre chanson intitulée « Bordeiaș, bordei, bordei », une première fois citée dans le Gloria dans un tempo lent, est chantée dans un registre grave par la flûte puis reprise par le choeur en accompagnement du naï. On la retrouve, plus enjouée, dans la coda de l'Agnus Dei.
Cette chanson populaire fut écrite au XIXe siècle par le compositeur et folkloriste Anton Pann (1790 - 1854), aujourd'hui connu comme auteur de l'hymne national roumain.

L’œuvre séduit par sa vitalité. L’on savoure l’impétueuse verve rhapsodique du Credo et de l’Agnus Dei, alors que le Sanctus invite le chœur de femmes à broder sur des modes byzantins, avant de s’éteindre dans l’infinie tendresse du naï de Zamfir. Dans la dernière partie, le flûtiste fait admirer une cadence où toutes les ressources techniques de l’instrument sont mises à contribution, se permettant même quelques allusions beethovéniennes. L’ensemble des pupitres célèbre enfin l’apothéose de danses populaires.

Si l’on tenait à trouver une filiation musicale à cette œuvre hybride – entre folklore et musique savante – il faudrait peut-être se tourner vers d’autres « messes exotiques » comme l’époque les affectionnait : la Misa Criolla et Navidad Nuestra (1964) d’Ariel Ramirez, ou encore la Missa Luba arrangée en 1958 par Guido Hazen et qui servira d’illustration sonore au film anglais If…

Pour ce vinyle édité par Philips – non repris en CD à ma connaissance – l’on a fait appel au beau chœur Madrigal, dirigé par Marin Constantin, à l’Orchestre de la Radiotélévision roumaine, sous la baguette de Paul Popescu ; et naturellement à l’orchestre de Gheorghe Zamfir dont on citera le cymbalum.

Les archives révèlent d'autres incursions de Zamfir dans la musique savante. Pour toi Dieu est une courte composition en quatre mouvements pour flûte de Pan et orgue. Plus intimiste que la Messe, elle invite au recueillement (le chant de Je suis toi, comme une berceuse). Beau passage de Vers la lumière où le naï psalmodie sur les changements d’amures de l’orgue.

Les deux arrangements de classiques – Jésus, que ma joie demeure BWV 147 de Bach et l’Ave verum K 618 de Mozart – sont moins intéressants, sans doute parce que la flûte de Pan se contente d’orner la ligne mélodique de son timbre sans affirmer outre mesure sa véritable personnalité.

Les organistes :
Pour toi, Dieu : Nicolae Licareţ.
Dans Bach et Mozart, Diane Bish.

Remerciements

Sans Lucian Nicolae, qui m’a fait découvrir avec enthousiasme l’ensemble des compositions et arrangements cités ici, cet article n’aurait sans doute jamais vu le jour. Je remercie aussi Lucian pour m’avoir instruit sur « la Murfatlar » et « Bordeiaș, bordei, bordei ».

Lucian me signale en outre les compléments suivants, que je reproduis avec son aimable autorisation :
A noter que Zamfir utilise habituellement dans un concert 4 ou 5 flûtes de Pan pour couvrir les registres soprano, ténor, baryton et basse.

Je signale dans Sanctus trois solos remarquables de trois virtuoses folkloriques qui faisaient partie de l'orchestre de Gheorghe Zamfir :
 - solo du caval (grand chalumeau en registre grave, timbre très doux) par Marin Chisar
 - solo du violon par Efta Botoca
 - solo du cymbalum par P. Stanga

jeudi 19 juillet 2012

Quelques photos de Roumanie (juillet 2012)












et d'autres encore sur :

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lundi 30 avril 2012

Silvestri dirige Saint-Saëns, Dukas, Debussy et Ravel

L’art du chef Constantin Silvestri, disparu en 1969, semble quelque peu oublié des mélomanes d’aujourd’hui. La faute sans aucun doute à une vie déracinée. Après la guerre, Silvestri est promis à une carrière d’exception dans sa Roumanie natale. Mais à la mort de Staline, le retour en grâce du chef historique George Georgescu, élève du grand Nikisch et apprécié par Toscanini, lui barre la route du Philharmonique de Bucarest. C’est Silvestri en personne néanmoins qui dirige la première roumaine de l’opéra Œdipe, de Georges Enesco.

Cette victoire de la musique sur le destin est sans lendemain. Le chef se résout à quitter son pays après les attaques du pouvoir contre cette œuvre trop libre.

C’était à la fin des années 1950. Jamais plus il ne reviendra dans un pays communiste. Désormais, son art se mesure à celui de ses plus prestigieux confrères occidentaux. Il dirige en France, au Royaume-Uni surtout, pour s’éteindre à Londres une décennie seulement après son exil. 

Quelques rééditions récentes nous rappellent comment cet artiste hors pair savait faire sonner l’orchestre. Le double CD de musique symphonie française de Forgotten Records (fr 622/3), venant compléter d’autres redécouvertes de ce chef, nous remet dans l’oreille ce don remarquable. Il faut écouter ce que Silvestri parvient à tirer de l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, formation habituellement considérée de second rang, dans Fêtes (le deuxième des Trois Nocturnes de Debussy), l’Apprenti Sorcier ou la Danse Macabre. Les plans sont clairs, les interventions instrumentales soulignées avec art. La battue du chef, nerveuse à souhait, sert d’une pointe sèche la passion dont cette musique regorge.

On aura certes connu version plus radicale encore du scherzo symphonique de Paul Dukas (Toscanini en 1951, plus rapide d’une bonne minute) mais il faut goûter ici la rutilance des combinaisons instrumentales. La Danse Macabre, démoniaque de la première à l’ultime mesure, palpite comme un écho occidental de la Nuit sur le Mont Chauve. L’approche du Boléro est presque précautionneuse, en habile prélude aux déclamations crescendo portées par un souffle souverain. L’on écoutera avec grand intérêt les œuvres de Debussy qui occupent la moitié de cette compilation. Sans doute, d’autres interprètes auront su brosser une Mer plus démontée ou un Faune plus charnel, mais Silvestri séduit par le sentiment d’évidence qu’il réussit à imprimer à ces partitions.

Constantin Silvestri appartient à cette génération trop ignorée du grand public et à laquelle la stature – réelle et fabriquée - d’un Karajan a fait tant de tort. On peine, il est vrai, à associer son nom à une formation renommée. C’est pourtant avec la Philharmonie Tchèque qu’il grave en 1953 une Rhapsodie Espagnole de Maurice Ravel explosive et langoureuse. Dommage que le son des musiciens pragois soit mal servi par un spectre sonore trop étroit.

samedi 21 janvier 2012

Cinq plus trois : les symphonies de Pascal Bentoiu


Enfin ! Pascal Bentoiu, prolifique compositeur né en 1927, est aujourd’hui honoré par Electrecord d’une édition intégrale de ses symphonies. On désespérait de la capacité du label roumain à renouveler enfin son catalogue, après tant d’offres décevantes, d’interprètes fatigués ou de compilations ouvertement commerciales. Voilà chose faite avec cette découverte passionnante.

Ce coffret intitulé « 8 Simfonii şi un Poem » (8 Symphonies et un poème) ajoute le poème symphonique intitulé Eminesciana III, en hommage au poète romantique Eminescu, au cycle symphonique intégral. La notice – en roumain et en français, s’il vous plaît, et de la main même du compositeur – éclaire l’auditeur sur les neuf partitions ici présentées. Dans la suite de l’article, je ferai appel entre guillemets à ce texte de qualité. Le coffret porte la référence EDC 972-976.


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Cette notice surprend par l’explication du « grand projet » qui présida à l’écriture de ce vaste cycle. Pendant un peu plus de 20 années, de 1965 à 1987, Pascal Bentoiu réalisa patiemment un plan d’ensemble anticipé avec soin.

La première symphonie fut en effet une sorte d’exercice préparatoire à l’écriture de l’opéra Hamlet. Son caractère austère est en contraste complet avec la joviale deuxième symphonie. Ayant sous les yeux deux œuvres si dissemblables, le compositeur posa le plan de ses trois futures symphonies : celles aux numéros impairs seront « introspectives, voire tragiques » ; quant aux autres – les numéros 2 et 4 – elles se devront d’être « extraverties, explosives, parfaitement libres ».

Voilà dessiné le premier « grand projet symphonique » de Pascal Bentoiu. Il fut entièrement réalisé en 1979 avec la réalisation de la 5e Symphonie. Cette expérience de composition s’avéra fertile. Le compositeur avait enrichi sa palette de nouvelles techniques. Il décida de les mettre en application dans un nouveau cycle de trois symphonies :

« Incité par la technique modale que j’avais mise au point à l’occasion des Quatuors op. 27, j’ai imaginé un nouveau groupe de trois symphonies apparentées, cette fois-ci, aux beaux-arts : la 6e à la peinture, la 7e à l’architecture et la 8e à la poésie ».

Voilà pourquoi les symphonies de Bentoiu se décomposent selon les propres mots de l’auteur en deux cycles, obéissant chacun à un canevas anticipé et mis en application avec rigueur. Entrons dans le détail de cet étonnant Cinq plus Trois.

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La première symphonie op. 16 (1965) est en trois mouvements Allegro vivace, Adagio et Allegro. L’absence de Scherzo illustre le dessein austère de la partition, dans laquelle l’auteur s’est efforcé de construire une œuvre cohérente sur un matériel thématique délibérément restreint. Un « sérieux exercice d’orchestration » ? On pourrait en douter tant l’œuvre est habile, sans jamais s’enfermer dans une filiation stérile de maîtres du passé ou d’imitations pseudo-folkloristes. Connaît-on un autre exemple de symphonie composée en guise d’entraînement, quand un Brahms repoussa tant d’années l’achèvement de son premier opus dans le genre ?

Comme les autres partitions à venir, cette symphonie inaugurale affirme une modernité tranquille et accessible. La sévérité des deux premiers mouvements est accentuée par des tensions non résolues, que laisse éclater l’Allegro final dans une série de variations.

Neuf années plus tard (1974), la deuxième symphonie op. 20 offre un étonnant caractère de joie sans arrière-pensées. On sait combien il est difficile pour un créateur d’exprimer la bonne humeur sans verser dans la bêtise, la complaisance navrante, le « rire de l’ange » de Milan Kundera. Rien de cela ici. Pascal Bentoiu exacerbe son art pour lui imprimer accents de musique populaire contemporaine, de jazz et peut-être même de music-hall. Le finale Allegretto giusto est un remarquable chant de jubilation tendu vers la péroraison des cuivres jusque-là muets. Je verrais volontiers dans la plus interprétée des symphonies de Pascal Bentoiu l’hommage enjoué d’un maître européen à ses pairs américains.

La troisième symphonie op. 22 – impaire, donc sévère – est écrite deux années plus tard (1976). Bentoiu invente : « elle se compose de séquences de gestes musicaux, successivement présentés en structures majeure, mineure et atonale ». Son premier mouvement est parcouru par une course éperdue qui passe de pupitre en pupitre. Le mouvement central, lent, est une vaste passacaille développée en 18 variations, « peut-être déprimante ». Le Finale bouillonnant laisse enfin s’exprimer une mélodie dépouillée qui s’éteint sur « douze accords complexes, identiques, toujours plus espacés ». La conclusion porte en exergue les mots de Matthieu 24:30 :


et tunc apparebit signum Filii hominis in caelo

Alors le signe du Fils de l'homme paraîtra dans le ciel (traduction de Louis Segond) 


La pastorale éthérée des premières mesures de la Symphonie n° 4 op. 25 (1978) se développe en une polyphonie complexe avec chants de glockenspiels, cloches et gamelans. Comme dans un rêve, la joie naïve des violons semble répondre à l’atmosphère idyllique de la 2e Symphonie. Le mouvement s’achève par la réexposition du matériel initial. Le curieux Lento dessine une sorte de jardin enchanté sur modes byzantins, alors que l’Allegro final surprend par la vivacité de ses cordes sur basse électrique, avant de s’éteindre dans l’écho de battements de cœur.

Cette œuvre, remarquable par son instrumentation – percussions imposantes et guitare basse – est la dernière des symphonies en forme classique de 3 ou 4 mouvements. En effet, la Symphonie n° 5 op. 26 (1979) qui termine le cycle est aussi la première d’un nouveau style encore plus libre. Elle s’affranchit du découpage caractéristique en 3 ou 4 parties avec son unique mouvement d’une vingtaine de minutes. Cet Adagio se déploie selon une idée si simple qu’on s’étonne qu’elle n’ait pas été exploitée auparavant : selon un principe chronologique, nous entendons les différentes techniques musicales depuis les plus simples - la monodie des origines, chantée par la clarinette - jusqu’aux fondements complexes de l’atonalisme et la sérialisation pour s’achever par « l’explosion du langage ». Dans cet intervalle nous aurons goûté à la polyphonie de 2 à 14 voies (6e minute), puis à l’harmonie (9e minute), à l’accord parfait de l’orgue (15e) et au chromatisme (18e). Idée à la fois simple et mémorable, réalisée ici avec un art consommé. Il serait séduisant de voir dans cette œuvre le résumé d’un millénaire d’histoire musicale occidentale, idée que Pascal Bentoiu récuse pourtant dans son texte.

On pouvait craindre que cinq symphonies conçues selon un schéma préétabli n’offrent en définitive qu’un art sans passion, étouffé par sa rationalité. Il n’en est rien. L’écriture de Bentoiu regorge de vie et d’idées intéressantes. Chacune de ses symphonies est originale, sans imitations ni redites.

L’on note avec un certain étonnement l’absence de toute référence nationaliste dans cette musique. Au rebours de ses pairs, Bentoiu inscrit son art dans la ligne générale d’une musique occidentale détachée des contingences patriotiques. Cette ouverture à l’universel nous la rend attachante. Nous savourons ici une musique écrite par un Roumain, mais pas une musique roumaine.



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Le « poème-concert » Eminesciana III est contemporain de la 3e Symphonie (1976). Le compositeur illustre la Troisième Epitre de Mihai Eminescu, dans laquelle le poète narre la Bataille de Rovine. En 1394, Mircea l’Ancien, prince de Valachie, mène un combat contre les armées ottomanes quatre fois plus nombreuses – et remporte la victoire. Le conflit musical oppose le pluri-modalisme pastoral, autochtone, aux « tracés et harmonies sérielles » de l’envahisseur. Comme dans le poème et dans la vérité historique, les éléments autochtones l’emportent.

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La symphonie « Couleurs » (1985) ouvre le cycle des trois œuvres à titre, chacune étant consacrée à un art. Cette 6e Symphonie consacre à travers ses mouvements « une sorte d’ascension allant de l’obscurité à la lumière ». Elle débute par Noir (« obscurité totale avec de vagues scintillements »), continue par Rouge, avec « la poussée du sang dans les artères et les veines » symbolisée par le chant des altos. Vert évoque la nature avec ses appels de cors. Jaune, inspiré par le tableau de Van Gogh Poiriers en fleurs, surprend par son approche grave. La mélodie des violons parcourt la gamme tout au long du morceau pour achever dans l’extrême aigu. Bleu commence sur les mêmes cimes éthérées pour dépeindre un univers sans contraintes, comme un vol dans l’azur. L’éclat « diamantin, transparent » de Blanc termine la symphonie. Les dernières mesures, « lumière de l’âme », offrent un final apaisé.

La septième symphonie « Volumes » (1986) est d’inspiration architecturale. Elle est plus austère que l’œuvre précédente. Ses deux mouvements contrastés « nous ont semblé apparentés aux deux quasi-hémisphères du Parlement de Brasilia ». Il est vrai que le premier d’entre eux est sobrement tourné vers le bas, alors que l’autre est ouvert sur le plein ciel, principe peut-être illustré par l’étonnante progression orchestrale de l’Allegro attisé par les percussions omniprésentes.

La huitième et dernière symphonie « Images » est de loin la plus longue de tout le cycle. Son exécution dépasse l’heure. Elle est écrite une année après « Volumes », en 1987. Chacun de ses cinq mouvements porte le nom d’un poète.

Virgile. Les vaisseaux troyens remontent le Tibre. La musique évoque la progression des navires en cette terre d’exil, accompagnés par le chant des oiseaux. Apothéose qui annonce la fondation de Rome par Enée.

Dante. Accompagné de l’ombre de Virgile, le poète décrit Lucifer prisonnier des glaces. Les nombreux trémolos représentent peut-être le vent glacial produit par les ailes du démon.

Shakespeare, avec les espiègleries d’Ariel (La tempête). L’insouciance de cette section est altérée par des passages plus noirs, en évocation du monstre Caliban.

Goethe. Sa dédicace de Faust inspire ici une lancinante introspection confiée aux cordes seules.

Vous revenez à moi, flottantes visions, que, dans ma jeunesse, je vis apparaître un jour à mon regard troublé : puis-je essayer de vous enchaîner aujourd’hui ? 

Le sonnet posthume La descente des eaux d’Eminescu est une parabole de l’existence, avec les chants insouciants de sources jusqu’à leur oubli final dans la mer amère. Pour la dernière partie, Pascal Bentoiu a choisi ce thème comme pendant au premier mouvement, quand Virgile chantait la renaissance au terme d’un voyage au rebours de l’onde. Un « rayon de lumière » est apporté sur la fin avec les premières strophes du merveilleux poème Au ciel, les étoiles vocalisées par une soprano.

Les cordes murmurent par deux fois, dans les dernières mesures de l’œuvre, un curieux motif de huit sons : sol-sol-do-ré-la-fa-si-do, « les fondamentales harmoniques des huit symphonies » dans leur ordre de composition. Avec ce geste ultime, l’auteur embrasse d'un regard rétrospectif le vaste cycle symphonique commencé plus de vingt années auparavant.


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Les trois dernières symphonies affermissent le sentiment laissé par le cycle des cinq premières. Elles sont plus exigeantes, certainement, mais aussi plus profondes. On devine à travers elles un auteur d’une très grande culture, attentif à son époque comme à l’histoire de l’art. Sa musique, même quand elle reste accessible dès la première écoute, reflète cette intelligence. Jamais elle ne verse dans la complaisance ou les effets faciles.

Tout amateur de musique contemporaine (mais les années 1960, est-ce toujours du « contemporain » ?) se devrait de connaître ces partitions. On souhaite qu’une prochaine réédition d’Electrecord accorde davantage d’attention à la mise en valeur de ce coffret, par exemple en ajoutant un titre en langue anglaise ou française, tant il serait dommage de limiter l’audience de cette musique aux seuls mélomanes roumains.

En guise de PS - et les interprètes ?

On aura beau tourner et retourner le coffret de cinq disques, impossible de trouver mention des interprètes et des dates d’enregistrement. Pour cela il faudra consulter le verso de chaque pochette de CD ! J’ai donc choisi de recopier ci-dessous les détails manquants afin d’éclairer l'amateur. Il serait agréable qu’Electrecord parachève la démarche de bonne volonté qui a rendu cette édition possible, en cessant de négliger ce genre de « petites choses » toujours embêtantes pour le mélomane de base, qui aime bien savoir à quels interprètes il aura affaire, d’autant plus que cette liste, où l’on note de sérieux orchestres et chefs roumains, n’a rien de déshonorant.

Symphonie n° 1 op. 16, 1965 19’57
Allegro vivace 6’20
Adagio 6’15
Allegro 6’39
Orchestra Filarmonicii din Cluj (Orchestre Philharmonique de Cluj), dir. Erich Bergel (04/1968)


Symphonie n° 2 op. 20, 1974 23’10
Allegro piacevole 5’38
Giusto 3’55
Lento 6’16
Allegretto giusto 7’05
Orchestra Simfonică Radio (Orchestre Symphonique de la Radio Roumaine), dir. Iosif Conta (11/1975)


Symphonie n° 3 op. 22, 1976 35’58
I 8’36
II 16’20
III 10’49
Orchestra Filarmonicii “George Enescu” (Orchestre Philharmonique “Georges Enesco”), dir. Mircea Cristescu (03/1978)

Symphonie n° 4 op. 25, 1978 26’21
Allegro 13’48
Lento 7’25
Allegro 4’52
Orchestra Simfonică Radio (Orchestre Symphonique de la Radio Roumaine), dir. Iosif Conta (12/1979)

Symphonie n° 5 op. 26, 1979 22’37
Quasi lento
Orchestra Simfonică Radio (Orchestre Symphonique de la Radio Roumaine), dir. Paul Popescu (03/1983)


Symphonie n° 6 op. 28 « Culori » (« Couleurs »), 1985 38’05
Negru (Noir) 8’01
Roşu (Rouge) 4’34
Verde (Vert) 4’35
Galben (Jaune) 7’00
Albastru (Bleu) 5’53
Alb (Blanc) 7’30
Orchestra Filarmonicii din Cluj (Orchestre Philharmonique de Cluj), dir. Cristian Mandeal (07/1987)


Symphonie n° 7 op. 29 « Volume » (« Volumes »), 1986 22’57
I 14’08
II 8’38
Orchestra Filarmonicii din Timişoara (Orchestre Philharmonique de Timişoara), dir. Remus Georgescu (06/1987)

« Eminesciana » III op. 23, 1976 19’40
Orchestra Simfonică Radio (Orchestre Symphonique de la Radio Roumaine), dir. Iosif Conta (05/1977)

Symphonie n° 8 op. 30 « Imagini » (« Images »), 1987 61’11
Vergilius (Virgile) 14’32
Dante 10’02
Shakespeare 8’25
Goethe 11’28
Eminescu (Eminesco) 16’12
Orchestra Naţională Radio (Orchestre National de la Radio), dir. Horia Andreescu (10/2005) – Soprano : Irina Iordăchescu.