lundi 30 avril 2012

Silvestri dirige Saint-Saëns, Dukas, Debussy et Ravel

L’art du chef Constantin Silvestri, disparu en 1969, semble quelque peu oublié des mélomanes d’aujourd’hui. La faute sans aucun doute à une vie déracinée. Après la guerre, Silvestri est promis à une carrière d’exception dans sa Roumanie natale. Mais à la mort de Staline, le retour en grâce du chef historique George Georgescu, élève du grand Nikisch et apprécié par Toscanini, lui barre la route du Philharmonique de Bucarest. C’est Silvestri en personne néanmoins qui dirige la première roumaine de l’opéra Œdipe, de Georges Enesco.

Cette victoire de la musique sur le destin est sans lendemain. Le chef se résout à quitter son pays après les attaques du pouvoir contre cette œuvre trop libre.

C’était à la fin des années 1950. Jamais plus il ne reviendra dans un pays communiste. Désormais, son art se mesure à celui de ses plus prestigieux confrères occidentaux. Il dirige en France, au Royaume-Uni surtout, pour s’éteindre à Londres une décennie seulement après son exil. 

Quelques rééditions récentes nous rappellent comment cet artiste hors pair savait faire sonner l’orchestre. Le double CD de musique symphonie française de Forgotten Records (fr 622/3), venant compléter d’autres redécouvertes de ce chef, nous remet dans l’oreille ce don remarquable. Il faut écouter ce que Silvestri parvient à tirer de l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, formation habituellement considérée de second rang, dans Fêtes (le deuxième des Trois Nocturnes de Debussy), l’Apprenti Sorcier ou la Danse Macabre. Les plans sont clairs, les interventions instrumentales soulignées avec art. La battue du chef, nerveuse à souhait, sert d’une pointe sèche la passion dont cette musique regorge.

On aura certes connu version plus radicale encore du scherzo symphonique de Paul Dukas (Toscanini en 1951, plus rapide d’une bonne minute) mais il faut goûter ici la rutilance des combinaisons instrumentales. La Danse Macabre, démoniaque de la première à l’ultime mesure, palpite comme un écho occidental de la Nuit sur le Mont Chauve. L’approche du Boléro est presque précautionneuse, en habile prélude aux déclamations crescendo portées par un souffle souverain. L’on écoutera avec grand intérêt les œuvres de Debussy qui occupent la moitié de cette compilation. Sans doute, d’autres interprètes auront su brosser une Mer plus démontée ou un Faune plus charnel, mais Silvestri séduit par le sentiment d’évidence qu’il réussit à imprimer à ces partitions.

Constantin Silvestri appartient à cette génération trop ignorée du grand public et à laquelle la stature – réelle et fabriquée - d’un Karajan a fait tant de tort. On peine, il est vrai, à associer son nom à une formation renommée. C’est pourtant avec la Philharmonie Tchèque qu’il grave en 1953 une Rhapsodie Espagnole de Maurice Ravel explosive et langoureuse. Dommage que le son des musiciens pragois soit mal servi par un spectre sonore trop étroit.