lundi 28 septembre 2009

Le Taraf de Vasile Năsturică chaleureusement accueilli à Paris

Vendredi 25 septembre 2009 au soir, le Théâtre de la Ville a réservé un brillant accueil au Taraf de Vasile Năsturică. Les cinq musiciens, sobrement vêtus d’un pantalon noir et d’une chemise blanche, ont sut captiver plus d’une heure durant les quelque mille spectateurs de l’assistance.

C’est face à une salle très réactive que le taraf bucarestois a présenté son programme. Vasile Năsturică, violoniste et guide de la formation, s’emploie à retrouver l’esprit des ensembles lautars d’il y a un demi-siècle et tombé dans un relatif oubli depuis. Il s’agit d’un simple quintette – violon, accordéon, guitare, cymbalum et contrebasse – parfois accompagné de chants, entonnés par les musiciens eux-mêmes. On mesure la distance avec les ensembles plus importants, outrageusement virtuoses et sacrifiant à la mode de la world music, apparus ces dernières années et soutenus par de tapageuses opérations de marketing. A l’écoute de Vasile Năsturică et de ses comparses, véritables artisans du son, vivant intensément chaque instant sur la scène, l’évidente beauté de cette musique s’impose d’elle-même. Le violoniste, évoluant entre deux solos au centre du groupe, tourne même le dos au public pour mieux diriger d’un geste ses compagnons, les encourager d’une simple mimique. Les musiciens ne se privent pas de converser à voix basse et de commenter d’un sourire tel trait habile réussi par l’un d’entre eux. Peut-on imaginer musique plus vivante, au sens premier du terme ? Chaque morceau du spectacle donne le sentiment d’être une création unique, offerte à un public privilégié.

La place importante dédiée à la musique lautaresque (fascinante partie de violon de la « Sîrba lautaresaca » initiale, comme en écho aux imitations naturalistes des « Impressions d’Enfance » d’Enesco) laisse un espace salutaire aux mélodies populaires roumaines (« Suita de jocuri ») voire à quelques chansons à boire (cântece de pahar) si bien défendues par la voix et l’accordéon de Ion Cinoi. La distinction entre ces différentes influences musicales, il faut bien le dire, est ardue pour les oreilles françaises. La méprise est permanente entre les nations ressortissantes de ce que l’on nomme ici, très arbitrairement, l’« Europe de l’Est », locution confuse englobant aussi bien les Balkans, la Hongrie, les nations slaves du nord et jusqu’aux Pays Baltes. Comment, à partir de telles généralités, comprendre la subtilité des influences à l’intérieur même de la Roumanie, et l’enjeu artistique défendu par les invités de ce soir ? Georges Enesco, Roumain jusqu’à la moelle des os et Parisien occasionnel, déplorait déjà de son vivant la confusion systématique des Français entre musique tzigane et musique populaire roumaine. Or, les deux existent depuis longtemps, chacune avec son caractère propre et fermement établi. L’âge d’or de la musique des Tziganes, cependant, ne remonte pas à des temps immémoriaux puisque l’on le situe à l’après-guerre, lors des décennies 1950 et 60, soit un siècle après leur affranchissement inspiré par les idéaux démocratiques des Lumières. Cet épanouissement s’incarnait alors dans une génération d’interprètes de renom. Cette filiation prestigieuse est précisément revendiquée par les artistes de ce soir. L’on est décidément très heureux d’avoir entendu cette « poignée de conservateurs entêtés », comme le dit avec humour leur directrice artistique, Speranţa Rădulescu, dans sa notice de concert. Oui, il faut de l’opiniâtreté pour défendre avec tant de flamme un répertoire à contre-courant de la tendance moderne, sans concession à la facilité, enfantant si souvent, hélas ! une bouillie aussi tonitruante qu’insipide.

Le public ne s’y trompa guère, en ovationnant le chant et le jeu de scène si prégnants de George Petrache, la virtuosité du cymbaliste Gheorghe Răducanu rappelant, dans un genre un peu différent – taille d’instrument oblige - les plus belles heures de Toni Iordache. Mais les éloges s’adressèrent naturellement à l’ensemble dans son intégrité et à sa passion fusionnelle, culminant en deux bis pétris d’énergie roborative. Il suffisait de contempler l’enthousiasme des spectateurs, Français et Roumains confondus, se pressant auprès des artistes exténués pour une dédicace, pour réaliser à quel point le « pari conservateur » avait été couronné de succès.


Musiciens :
Vasile Năsturică, violon 
George Petrache, voix, guitare
Ion Cinoi, voix, accordéon
Gheorghe Răducanu, petit cymbalum
Gheorghe Petrescu, contrebasse

Speranţa Rădulescu, directrice artistique

[Cet article a été traduit en roumain par Jurnalul Naţional, principal quotidien de Roumanie, qui l'a publié le 11 octobre 2009. Voir ici : http://souvenirsdescarpates.blogspot.com/2009/10/vasile-nasturica-roumain.html et ici : http://www.jurnalul.ro/stire-lada-de-zestre/seara-pariziana-pe-acorduri-lautaresti-523481.html.]