mercredi 26 août 2009

Musique en Serbie

De la Roumanie à la Serbie il n'y a qu'un pas. Pourtant, la musique serbe est encore plus méconnue que celle de son voisin latin - c'est dire ! Mes incursions dans l'ex-Yougoslavie m'ont donné l'occasion d'une brève immersion dans l'art musical des Slaves du Sud.

Seul un fleuve sépare la Roumanie de la Serbie. Mais qu’il suffise de traverser le Danube, par la route empruntant le barrage des Portes de Fer, pour s’aviser que la distance entre les deux contrées est bien plus importante que la largeur d’un cours d'eau. Voici l’ex-Yougoslavie, aux villages quiets entourés de belles et grandes villas. La politique d’émigration contrôlée de Tito a ramené de salutaires devises au pays ; cela est encore perceptible, particulièrement en revenant de Roumanie où les seuls bâtiments ayant conservé quelque charme - je ne parle pas des demeures des nouveaux riches - datent d’avant la chape de plomb totalitaire. Les Roumains entretiennent une admiration sincère pour leurs voisins slaves. Un tel sentiment est d’autant plus remarquable qu’il est délibérément absent des autres considérations frontalières, au Nord, à l’Est comme au Sud. Difficile de faire comprendre aux Roumains que la Yougoslavie n’était pas pays de cocagne et ne représentait somme toute qu’un avatar moins ubuesque du despotisme communiste. Mais la propagande de Tito, visiblement, touchait droit sa cible, et continue de fonctionner, trente ans après la mort du tyran.

Il arrivait qu’au moment de passer les écluses, Roumains et Serbes s’échangent quelques paroles.

- Holà ! Que deviendrez-vous si demain Tito meurt ? disaient les Roumains.
- Et vous, que deviendrez-vous si Ceauşescu ne meurt pas ? s’esclaffaient les Yougoslaves.

Le petit trafic autorisait les ressortissants des deux pays à passer la frontière, les autos chargées de légumes, pain ou chocolat. Cette concession minime au capitalisme si méprisé offrait pourtant un semblant de bien-être aux frontaliers, et n’a pas été sans effet sur le sentiment encore vivace des Roumains sur leurs voisins.

Les villes serbes sont étrangères à ce mélange de réhabilitation et d’inachevé crasseux qui les rend si rébarbatives en Roumanie. J’ai visité Kladovo, Negotin, Belgrade ; j'ai remonté la vallée du Danube et traversé de part en part la Voïvodine. Partout ce souci d’offrir un espace de promenade, des terrasses ombragées, de riches vitrines à l'écart du vacarme. Pas grand-chose, sans doute ; mais ce pas grand-chose-là n’a pas effleuré l’esprit des Roumains, pour lesquels les gaz d’échappement ne sauraient gâter le luxe d’être en terrasse, et qui par-dessus le marché s’obstinent à vous défoncer les tympans avec des chansons idiotes entrecoupées de publicités consternantes, à grand renfort de baffles savamment disposés.

Belgrade ressemble à Bucarest, mais aussi aux villes d’Europe centrale, avec ses restaurants animés, ruelles tortueuses au charme Belle-Époque ; et sa très vaste avenue piétonne, Ulica Knez Mihailova, reliant le centre ville à la forteresse du Kamelegdan, d’où l’on contemple la confluence du Danube et de la Sava. Je me suis fait la réflexion que cette capitale deviendrait une destination de premier choix quand la Serbie aura réintégré le concert des nations. Encore lui faudra-t-il confirmer la mise sous tutelle d’un nationalisme exacerbé, alimenté encore récemment par la superstition et le déni de réel.

Y a-t-il une musique classique serbe ? Je trouve chez quelques disquaires des CD épars. Voici un album anniversaire des 75 ans de la radio-TV nationale, avec des œuvres de Petar Konjović. D’abord des chœurs avec accompagnement de piano : Oj, za gorom, Orošen đerdan, Vragolan. S’agit-il d’une imitation des Chants moraves de Dvořák ? Sans doute, mais sans la fraîcheur ensorcelante du modèle. P. Konjović (1883-1970) ayant étudié au Conservatoire de Prague, la filiation n’est pas étonnante.
Kestenova gora est une partition orchestrale du même auteur. Un léger martèlement des percussions, une triste cantilène à la clarinette basse, et l’orchestre s’éveille par paliers. Effet oriental ; crescendo irrésistible, mais sans hâte. Climax à 4’30. Curieusement, le langage de Konjović rejoint celui de Prokofiev (Alexandre Nevski) ou Novák (Suite de la Bohême du Sud). Retour au calme, bref épilogue. Kestenova gora est le nom d’une localité croate. Fut-ce le lieu d’une bataille avec les Ottomans ? Mystère. Il serait trompeur de faire de cette partition un chef d’œuvre inconnu, mais cette arche néoromantique à l’écriture réussie mérite sa place au concert.

Changement d’ambiance avec le très extraverti Čočečka igra, introduit par le tambour de basque et les caquètements des bois, rapidement grossis aux violons. A partir de 2’30 la musique se pare d’orientalismes, avant que la clarinette n’offre un adagio poétique à peine troublé par le contrechant des autres bois. A la cinquième minute, les cordes retournent à la mélodie initiale, romancée et poussée à son paroxysme lyrique. Tourbillons de carnaval, claquements de fouet, rythmes syncopés, en alternance avec les danses plus placides et toujours ranimées à partir du matériel déjà exposé. Le côté décousu de cette pièce gâche hélas le plaisir de l’écoute.

A partir de ces quelques partitions, l’image de Petar Konjović s'impose comme celle d’un musicien talentueux, attaché aux maîtres du passé, mais sans ce génie particulier qui permettrait de le ranger parmi les artistes scandaleusement méconnus.

Autres danses, pour chorale a capella, de Svetislav Božić : Homoljska igra. Cette robuste guirlande expressionniste évoque, par son archaïsme, Carmina Burana ; mais l’on pense aussi aux Voix Bulgares et à certaines évocations du culte orthodoxe. Une énergie parfaitement mise en portées : à découvrir.

Que dire de l’Ouverture dramatique, Dramatična uvertira, de Vasilije Mokranjac ? A vrai dire, pas grand-chose ; une honnête partition des années 1880, voilà ce qui transparaît d’une première écoute. Puis l’on se frotte les yeux, l'on se torche les oreilles : V. Mokranjac a vécu de 1923 à 1984. Sa partition serait donc contemporaine du dernier Bartók, de la maturité stravinskienne, et lui-même serait né la même année que le regretté György Ligeti ? Alors, l’on réécoute son ouverture, où l’on trouvera avec de la bonne volonté quelques accents mahlériens, mais surtout une enfilade de poncifs servis avec une emphase pompeuse franchement désagréable. A fuir !

Encore un Mokranjac, Stevan Stojanović de son prénom. Il a vécu de 1856 à 1914 ; ce n’est donc pas le père du précédent, et j’ignore même si un lien de parenté les unit. S. St. Mokranjac est un personnage célèbre. Il a un buste au centre de Negotin, sa ville natale, et sa figure orne les billets de 50 dinars. Cette gloire paraît justifiée. Son chœur pour hommes sans accompagnement Prva rukovet aux couleurs changeantes incite à une découverte d’un compositeur dont on se plaît à imaginer l’art fertile.

Le CD (réf. 431692 SOKOJ) comprend aussi l'Ave verum de Mozart (écrit "Mocart") et l'Alléluia du Messie de Haendel. Choeurs de la RT serbe, dir. Mladen Jagušt (Konjović, S. St. Mokranjac) et Vladimir Kranjčević (Božić). Orchestre symphonique de la RTS, dir. Bojan Suđić.
Voir : www.pgp-rts.co.yu/katalog/izdanja/431692RadioHor.htm.

La pianiste Nada Kolundžija est une émule de Glenn Gould, spécialisée dans la musique de notre temps. Son unique CD, sponsorisé par la Société Générale, a été capté dans la Synagogue de Novi Sad en octobre 2004. Le Virdžinal (Virginal) de Vuk Kulenović (né en 1946) commence le récital. Le jeu martelé de cette page veut imiter le timbre du clavecin. Atmosphère onirique : basse lente et lestes arpèges, jusqu’à la septième minute. Là, le piano impose sa puissance et laisse un champ de ruines, commenté en épilogue par les dernières gammes modales du clavier - redevenu virginal.
Ce morceau plutôt réussi contraste avec celui de Miloš Raičković (né en 1956) intitulé B-A-G-D-A-D, composé en 2002 : « musique sur un thème de six notes, en défense de l’Irak ». « Défense » contre l’intervention armée de la coalition, j’imagine, et non contre le despote qui tenait son peuple dans une main de fer… Musicalement, cette pièce fondée sur les lettres de la capitale irakienne (si – la – sol – ré – la – ré correspondant à l’énumération B-A-G-D-A-D), improvisation stérile sans la moindre inspiration, évoque davantage la besogne d’un tâcheron pour une quelconque série Z qu’une œuvre digne d’un concert.

Curieuse page intitulée Tišina i Ništa (Silence et rien), pour « voix soupirante » et piano, composée en 2004 par Irena Popović âgée à peine de 20 années. Une voix féminine susurre quelques paroles énigmatiques. Un piano atonal lui répond. Intrigant, ésotérique, pas désagréable ; des clefs seraient les bienvenues.
A noter : les deux interprètes ne font qu’une, c’est Nada Kolundžija en personne qui murmure.

Le CD (réf. ISBN 86-904693-1-1) comporte aussi des pages de L. Andriessen et M. Klagel. Site de l'interprète : www.nadakolundzija.info.

Est-ce une partition oubliée du cher Vieuxtemps ? Les premières mesures du Concerto pour violon et orchestre de Stanojlo Rajičić, tout en adresse et mélodie, pourraient en tromper plus d’un. Puis le second thème de cet Allegro moderato, sur une étonnante gamme modale, affirme la personnalité de cette page néoromantique que l’on daterait, sans plus d’informations, de la fin XIXe. L’on devine une partition éreintante pour le soliste (éprouvante cadence de deux minutes), bien que le souci de faire de la musique ne soit jamais étouffé par les contingences techniques. L’Andante moderato central traverse l’ambitus du violon et se morfond un temps en monotones palinodies. Le nostalgique deuxième sujet, confié au registre le plus grave de l’instrument, mais sans véritable beauté mélodique, entraîne le finale Presto aux effusions chorégraphiques un peu trop convenues.
Cette partition énergique, très exigeante techniquement, composée par quelqu’un qui maîtrise évidemment son art, devrait plaire aux violonistes à la recherche de nouveaux répertoires. Il serait en revanche trompeur de la faire passer pour un sommet méconnu, d’autant plus qu’elle se révèle bien plus tardive que son écoute ne le laisse supposer, l’auteur Stanojlo Rajičić étant né en 1910. Il nous a quitté en l’an 2000.

Belle prestation de la jeune (1978) Tijana Milošević, discrètement soutenue par la Philharmonie de Belgrade et son chef Angel Šurev. Le même CD RTS PGP 430589 permet d’entendre la soliste dans une musique que l’on suppose avoir été composée pour elle, la Muzika za Tijanu d’Aleksandra Đokić (née en 1969), ballade impressionniste avec accompagnement de piano, mollement acclamée par le public - ce que l’on peut comprendre.

Le troisième morceau slave du CD donne à entendre Hameum svita, suite de pièces populaires stylisées par les clarinettistes Božidar « Boki » Milošević et Ante Grgin, ici impeccablement défendues par la maestria de la violoniste. Il serait dommage de ne pas citer le piano d’Istra Pečvari.
Autres œuvres du CD : Poème de Chausson, Sonate de Debussy. Voir sa description sur www.pgp-rts.co.yu/katalog/izdanja/430589.html.
Site de l'artiste : tijanamandworldcontakt.com.

« Заnucaно ςγслама » : voici le titre d’un album chaudement recommandé par un ami serbe. Sur la pochette, un oiseau, surimprimé par une cithare stylisée. Je retourne l’objet. Les neuf titres sont rédigés en cyrillique. Je crois comprendre qu’il s’agit de chants nationaux : « des ballades du temps des guerres ottomanes », me précise le vendeur, tout heureux de faire la promotion de sa maigre vitrine à un visiteur étranger. Ce sont très vraisemblablement des chansons de geste : la basse continue de la cithare sert de support à une déclamation très précise. L’on ressent à chaque seconde la volonté de partager un discours, sans doute poétique. Alors l’on se souvient que les héritiers d’Homère avaient été identifiés, il n’y a pas si longtemps, parmi les conteurs populaires de la côte Croate, capables de déclamer pendant de très longues durées des histoires épiques et cruelles – la mémoire d’un peuple. Mais sans compréhension du discours, la musique, fondée sur des modes byzantins, est trop monotone pour se suffire à elle-même. L’on songe à certains chants orientaux fondés sur la même utilité, insupportables aux non-initiés. L’on réservera donc ce CD aux serbophones. CD 406621 SOKOJ.

Encore un album entièrement présenté en cyrillique, fruit d’une même moisson : TEOДУΛИЈA, Teodulia. Mélange de folklore et d’arrangements modernes (batterie, piano…), très « world music » et, dans le genre, réussi. L’on goûte çà et là une douce langueur orientale, quelques solos de violon, des accents quasi flamenco. Somme toute, certains groupes de musique bretonne, chez nous, ne font pas autre chose. Les membres du groupe expliquent à quel point ils aiment leurs racines, la musique contemporaine et Dieu : voici l’explication du nom qu’ils ont choisi, Theodulia signifiant « servant de Dieu ». Notons la participation d’une certaine « Madame piano » qui semble posséder une certaine notoriété chez les Slaves du Sud. CD 10261 SOKOJ. Le site officiel (http://www.teodulija.co.yu) répondant absent, on trouvera des renseignements ici : www.myspace.com/teodulia.

Il faut avoir l’oeil bien aiguisé pour distinguer ce CD, commémoratif des trois quarts de siècle de la Radio de Belgrade, du précédent commenté plus haut. Mêmes couleurs tristement militaires, même nombre 75 en gros caractères. Mais ici il s’agit de musique populaire. Le Narodni orkestar (Orchestre national) invite à la danse. Sa musique est savoureuse, heureuse, bien léchée. Elle se distingue de la roumaine par la présence moins systématique des instruments du terroir (caval, nai, etc.) et peut-être un son plus lisse, plus viennois (écouter l’incipit de Svilen konac, piste 8), le rôle soliste de la clarinette (et non du taragot) et de l’harmonica.

La deuxième partie du disque invite le Narodni ansambl (Ensemble national), plus proche des tarafs roumains. On entendra même des inflexions klezmer dans le démonstratif Splet iz Srbije (piste 14), et le début déclamé de la Šopska igra (piste 16) évoque irrésistiblement la manière Bregović.

Le troisième et dernier orchestre du CD se nomme Eksterni ansambl Bore Dugića, du nom de Bore Dugić, flûtiste et meneur du groupe. Le premier morceau, Tren, offre un contraste flagrant avec les danses effervescentes du Narodni ansambl. S’agit-il de musique populaire, ou d’un morceau New Age destiné à la relaxation des cadres ? Vu sous cet angle, pourquoi pas ; sinon, l’on pourra ignorer sans regret cette langueur de quatre minutes et trente-trois secondes. Suit la Badinerie de Jean-Sébastien Bach, joliment sifflée par Dugić. Dommage que le morceau suivant retrouve un ton New Age et sans grand intérêt. La dernière pièce invite, assez étrangement, l’orchestre symphonique et le chœur de femmes de la radio, pour un moment tous comptes faits bien troussé et bondissant, à la séduction certaine. CD « 75 GODINA RADIO BEOGRADA » 406348, décrit ici :
www.pgp-rts.co.yu/katalog/izdanja/406348RadioNarodni.htm.

lundi 24 août 2009

Bucarest

Une ville à trous. Pas seulement dans les trottoirs, au beau milieu des rues ou dans les façades ; je parle de trous métaphoriques. Imaginez une morne banlieue aux murs recouverts de crasse, d’immenses boulevards bordés d’édifices laids. Là, des personnes sans passion se meuvent le long des murs, une vieille à la tête voilée fait la manche, des gamins malpropres se poursuivent en hurlant des cris tziganes. Quelques chiens faméliques et craintifs glissent leur nez au sein de poubelles éventrées. L’odeur sure des déchets n’oblige même pas les passants à un détour. Ici, c’est ainsi. Misère et fatalisme.

Un éclat : l’œil accroche le fronton d’une église. On ne la voit que depuis un certain angle. Un peu plus loin sur le trottoir, et seule l’immense et envahissante grisaille vient frapper le regard. Mais de là, en tournant les yeux, voici une merveille d’église orthodoxe. Elle est toute menue, écrasée entre deux géants de béton. Mais elle irradie sa beauté. Les églises orthodoxes ne sont jamais très grandes, ce qui ne fait qu’augmenter leur charme. Leurs murs sont bâtis de façon rugueuse mais régulière, comme l’écorce des conifères. Et au-dessus de leurs coupoles jumelles, des croix évidées servent de signal aux fidèles.

En dix ans j’ai vu la ville changer. Autrefois, des carrioles, des bêtes de trait disputaient le bitume aux Moskvitch brinquebalantes, le centre ville paraissait éventré par un bombardement et des dizaines de chiens suivaient le moindre de mes déplacements à travers le quartier de Lipscani. Aujourd’hui, fini les chevaux, et même les chiens se font rares, exterminés par une politique de salubrité de l’ancien maire. Des casinos sont apparus à chaque coin de rue, éclairant leur devanture d’une lumière joyeuse et factice. Mais la capitale roumaine est toujours un chantier, parsemé d’innombrables crevasses, de tas de pierres et d’excavations sauvages. La question : est-ce une ville laide en lente reconstruction, ou une ancienne cité agréable ensevelie sous une sauvage modernité, héritière des massacres communistes ? La ville est entre deux états. Vers lequel penche-t-elle ?

Une rue poussiéreuse. L’on ne distingue pas le trottoir de la chaussée : la bordure entre les deux est inexistante, ou plutôt a été détruite par le temps et la négligence. L’on progresse avec soin, s’enfonçant entre véhicules garés à même le mur et menus obstacles de moindre importance. Sans prémisses, un palais Belle-Époque surgit derrière un mur gris, entouré d’un parc élégant et d’un foisonnement de verdure. Les Roumains disent avec une pointe d’emphase : perioada interbelica. L’entre-deux guerres, époque aujourd’hui mythique où le pays réunifié avait sa voix au concert des nations, sans tutelle étrangère, s’efforçait de croître et de se construire un avenir souverain. Les efforts de la dictature n’ont pas tué la mémoire de cet âge trop court, mort sous la poussée des idéologies rouges-brunes.

En 2001 j’ai été invité par Radio România Internaţional au Festival Enescu. Les Roumains entretiennent d’étranges rapports avec leur plus grand compositeur. C’est l’homme de deux œuvres : les Rhapsodies. Le reste n’est ni connu, ni apprécié du grand public. Mais l’image d’Enesco est partout, orne des calicots déployés au-dessus des rues, d’immenses façades administratives, se déploie en banderoles gigantesques au long de l’Athénée. Je dis bien : l’image d’Enesco, au singulier. Car il ne s’agit que d’une seule image, toujours la même, reproduite chaque année à l’infini sur tous les supports : le maître de face, absorbé, la tête doucement inclinée et soutenue par la main droite aux doigts entrouverts. Pas d’illusion : aucune ferveur mélomane n’est à l’origine de ce culte. Enesco est un prétexte, un bouc émissaire. Faire connaître la Roumanie, inviter interprètes prestigieux et riches visiteurs, en un mot : flatter la population en lui faisant imaginer, l’espace de quelques concerts, qu’elle occupe le centre de l’attention internationale, voici la seule justification du Festival.

Musicalement, celui-ci est plutôt réussi. L’opéra Œdipe, rituellement donné à chaque édition, fut honoré avec une rare ferveur. A l’issue des ultimes mesures, le chef Christian Mandeal invita avec un parfait à-propos les musiciens de la philharmonie sur scène. Chacun, muni de son instrument, fut applaudi à l’égal des solistes vocaux. Je me souviens aussi, dans l’immense salle du Palais, bourrée à craquer malgré ses 6000 places assises, du récital de la Philharmonie de Vienne dirigée par Seiji Ozawa. Les symphonies de Mozart et Brahms furent accueillies dans un silence très relatif, les Roumains aimant bien discuter à voix basse en plein concert et même passer des coups de fil en chuchotant. Car la foule était là pour autre chose : la première rhapsodie d’Enesco. Fini les discussions susurrées : l’œuvre débuta dans un silence total. Pendant le dialogue des vents, je regardais mes voisins. Il y avait des cadres en costume cravate, mais aussi – les organisateurs ayant décidé de laisser ouvertes les portes du palais une fois installés les spectateurs munis d’un billet – des retraités, des adolescents en tee-shirt troués, des ouvriers droit sortis de leurs chantiers. Tous fixaient avec une attention intense l’orchestre viennois jouant leur musique emblématique. J’avais rarement vu une telle application dans l’écoute. Pas un ne bougeait ; le seul son provenait de l’estrade flanquée des deux sempiternelles images d’Enesco. La philharmonie s’employait à lisser la rhapsodie comme s’il se fût agit d’une valse viennoise, violons lustrés, cuivres polis. Ozawa faisait reluire son orchestre comme une somptueuse boîte à musique aux éclats moirés, policée mais sans la moindre fièvre pourtant si vitale à cette musique. Cette approche clinique n’effraya pas le public, qui à l’issue du dernier accord en tutti, ovationna farouchement les musiciens comme rarement ils l’avaient dû l’être, avec des vagues de rauque sauvagerie sans rapport aucun avec les traditionnelles demandes de bis - « une autre, une autre ! » - qui chez nous achèvent invariablement tous les récitals, même les plus médiocres.

Rien pour notre nation n’est comparable à la ferveur populaire des Roumains envers leur rhapsodie. Une musique que tout le monde connaît, sans considération de classe sociale ou d’âge. Mais alors, n’est-ce pas aussi le cas en France avec certains airs de Carmen ou encore le Boléro ? Non. Dans Carmen, Bizet imite l’Espagne. Ses airs ont beau être populaires, ils ne symbolisent pas la France. Ne parlons pas du Boléro, puisant selon les propres mots de Ravel son style plaintif et monotone dans les mélodies arabo-espagnoles. Berlioz, Gounod, Saint-Saëns et bien d’autres ont beau avoir écrit des musiques éloquentes et célèbres, aucune d’entre elles ne représente spontanément l’esprit français pour l’homme de la rue. Mais ce tour de force, Enesco l’a réalisé, pour sa propre nation.

J’avais mes habitudes à Bucarest. A deux pas de l’Université, j’allais dans une minuscule échoppe, tout en longueur. Mes explorations m’avaient appris qu’au fond, le long du mur de droite, s’entassaient des ouvrages musicaux et partitions, par dizaines, que l’on pouvait patiemment examiner et déchiffrer sous le regard bienveillant des employés. Les jours fastes j’ai pu acquérir pour quelques malheureux lei des biographies introuvables, quelques conducteurs (partitions d’orchestres) rarissimes et autres vestiges de la République Populaire sortis d’on ne sait quelle liquidation aveugle. Mais c’est fini. Cet été, à la place du bouquiniste, étincelait une boutique de jouets en plastique, avec dans sa devanture l’effigie criarde des derniers héros de Walt Disney.

J’avais déjà vécu pareilles déceptions. En 2003 ou 4, je m’aperçus que le Boema avait été remplacé par l’une de ces boutiques modernes sans âme où l’on va pour boire un café américain ou consommer des sushis, je ne sais plus trop. Non que j’étais un assidu du Boema, restaurant à l’ancienne mode, avec ses assiettes peintes et têtes de gibier défraîchies aux murs, et par-dessus-le marché aux qualités culinaires très discutables ; mais le lieu était porteur d’une véritable histoire, témoignage de cette légendaire perioada interbelica. Il y a plus : cet endroit (si l'on en croit l'écrivain Mircea Cărtărescu) était fréquenté par les services secrets communistes pour y fabriquer ces fameuses blagues que les Roumains aimaient à s’échanger pendant les années noires. Eh oui, les histoires de Bula sont aussi des filles de la Securitate…

Plus loin, dans Lipscani, centre ville historique que l’on parcourait autrefois comme un terrain vague en friche, l’on trouvait les meilleures placintas de la capitale, tourtes feuilletées aux bords rendus croustillants par une cuisson au caquelon. Le minuscule salon de thé était recouvert par une fresque de Mickey. Non, pas le personnage falot et insipide que nous connaissons aujourd’hui, mais le sympathique Mickey des origines aux grands yeux, mâtiné de Mortimer et pas encore perverti par la mièvrerie ; je me plaisais alors à imaginer les jeunes Bucarestois des années 30 se presser au comptoir exigu commander des citronnades et des parts de placinta, alors que la ville aux longues voitures brillantes s’animait au son des fox-trots et tangos de Jean Moscopol. C’est perdu. Aujourd’hui, une couche de peinture satinée a rénové le salon de thé. La dernière fois, j’ai demandé à la serveuse pourquoi la peinture de Mickey avait disparu. Elle a simplement haussé les épaules : « c’est plus moderne ainsi ».

dimanche 23 août 2009

Dumitru Capoianu (1929, Bucarest)

D. Capoianu étudie au Conservatoire de Bucarest (1941 - 1953) avec Victor Gheorghiu (théorie, solfège), Mihail Jora (harmonie), Marţian Negrea (contrepoint), Mihail Andricu (composition), George Enacovici (violon), Theodor Rogalski (orchestration), Tiberiu Alexandru (folklore), Vasile Popovici et Zeno Vancea (histoire de la musique).

Parallèlement à ses études il est violoniste au sein de l'orchestre du Théâtre National (1945 - 1947) puis de l'Ensemble de la Confédération Générale du Travail (Ansamblului Confederaţiei Generale a Muncii) de Bucarest. Il devient réalisateur musical des studios Romfilm (1950 - 1951) et Alexandru Sahia (1951 - 1952), puis à la radiodiffusion nationale où il est aussi régisseur musical (1952 - 1954).

De 1969 à 1973, il dirige la Philharmonie George Enescu de Bucarest. En tant que chef, il présente principalement ses propres œuvres à travers le pays.

D. Capoianu a rédigé de nombreux articles sur l'art et a recherché au cours de nombreux voyages, des deux côtés du rideau de fer (Bulgarie, où il se rend cinq fois ; Autriche, URSS, France, États-Unis d'Amérique, Allemagne Fédérale, Belgique, Luxembourg, Tchécoslovaquie, Angleterre, Hongrie, Pologne, Yougoslavie, etc.) des compléments à ses études. Il assure de nombreuses conférences et émissions de radio et télévision.

Capoianu est distingué à de multiples reprises, surtout à l'Est (2e prix du Festival Mondial pour la Jeunesse, 1957 ; Prix d'État roumain, 1962 ; Ordre du Mérite Culturel, Ve classe, 1968, et IIIe classe, 1973 ; Prix de l'Union des Compositeurs (1970, 1974, 1977, 1980, 1981, 1983) ; Prix de l'Académie Roumaine (1977). Le Festival de Cannes l'honore de la Palme d'Or en 1957, pour la musique du dessin animé Scurtă istorie de Ion Popescu-Gopo.

Ouvrages lyriques, musiques de scènes, spectacles

  • Gâlcevile din Chiogga, musique de scène d'après Goldoni (1951)
  • Ursuleţii veseli de M. Polivanova (1959)
  • Broadway-Melodie (1960)
  • Cosmos '60, ballet (1960)
  • Doctorul au-au, musique de scène d'après Vadim Korestiliov (1961)
  • Ruy-Blas, musique de scène d'après Victor Hugo (1963)
  • Eu şi materia moartă, spectacle de variétés (1964)
  • Aulularia, musique de scène d'après Platon (1965)
  • Biedermann şi incendiatorii (Monsieur Bonhomme et les incendiaires), musique de scène d'après Max Frisch (1966)
  • Drumul oteţului, ballet sur un argument original (1965)
  • Oameni în frac, ballet sur un livret de Oleg Danovschi (1969)
  • Curtea Domnească, spectacle de son et lumière (1969)
  • Regina de Navarra, musique de scène d'après Alexandre Dumas (1970)
  • Cabaretissimo, spectacle de variétés (1971)
  • Vlad Ţepeş, musique de scène d'après Remus Nasta et Mihai Vasiliu (1972)
  • Richard al III-ea, musique de scène d'après William Shakespeare (1979)
  • Dragostea prinţesei, musical en deux actes sur un livret propre d'après une pièce de Sacha Lichy (1982)
  • Cenusereasa, musical en deux actes pour une pièce de Ion Lucian et Virgil Puicea d'après Charles Perrault (1984)
  • Pistruiatul, musical en deux actes sur un livret de Francisc Munteanu (1987)
Musique pour voix et orchestre

  • Cinci cântece din Ardeal pour chœur de femmes, hautbois solo et ensemble de cordes (1961)
  • Ca să faci portretul unei pasari, cantate pour chœur d'enfants, piano, flûte et percussions, sur un poème de Jacques Prévert (Pour faire le portrait d'un oiseau) , traduction de Gelu Naum (1969)
  • S-a spart o conductă de vise în cer, poème pour choeur mixte et percussions, vers de Valeriu Bucuroiu (1979)
  • Pământul, cantate pour chœur mixte, récitant et orchestre, paroles de Mihu Dragomir (1979)
  • Echinocţiu, oratorio pour chœur mixte, récitant, orgue et orchestre, sur des paroles de Eugen Jebeleanu (1984)
  • Solstiţiu, oratorio pour chœur mixte, récitant, orgue et orchestre, sur des paroles de Eugen Jebeleanu (1984)
  • Valses ignobles et pas sentimentales, suite pour mezzo-soprano et orchestre de cordes, sur des paroles de George Topârceanu (1986)
Musique symphonique

  • Suita I pentru orchestră, 1953
  • Ouverture Capriccio, 1954
  • Suita II pentru orchestră, 1955
  • Divertisment pentru orchestră de coarde şi două clarinete [Divertissement pour orchestre de cordes et deux clarinettes], 1955
  • Concert pentru vioară şi orchestră [Concerto pour violon], 1957
  • Variaţiuni cinematografice, 1965
  • Motto perpetuo pour violon ou ensemble de violons et orchestre, 1971
  • Un August în flăcări, suite orchestrale, 1974
  • Pasărea Phöenix, suite tirée de la musique du film homonyme, 1975
  • Chemări'77, poème symphonique, 1977
  • Duelul, fantaisie de jazz, 1977
  • Muzică de ambianţă, 1980
  • Mic concert pentru 2 piane, 6 viori şi orchestră [Petit concerto pour deux pianos, six violons et orchestre], 1980
  • Hora horelor, d'après des motifs de la Hora Staccato, 1984
  • Faţete, suite symphonique de jazz, 1984
  • Concert pentru chitară şi orchestră [Concerto pour cithare et orchestre], 1985
  • Cântec fără cuvinte, pour violon, quatuor à cordes et orchestre, 1986

[le catalogue sera complété ultérieurement].



Sources
  • Viorel Cosma, Muzicieni din România, vol. 1, Editura muzicală, Bucureşti, 1989 - ISBN 973-42-0015-1

mercredi 19 août 2009

Les chansons anticommunistes de Jean Moscopol

De passage à Bucarest j'ai réalisé mon tour rituel des rares disquaires. Au magasin Muzică de la rue Calea Victoriei, déçu par une maigre collecte au rayon classique, j'ai choisi de musarder au gré des collections populaires. Un curieux album a alors attiré mon regard, avec son dessin malhabile d'électrophone de l'après-guerre. "Cântece de dragoste", "Chansons d'amour", dit le titre. Pas ma tasse de thé. Mais immédiatement au-dessous : "Balade şi cuplete anticomuniste". Des chants roumains anticommunistes ? Je n'en avais jamais entendu parler. L'auteur est un certain Jean Moscopol. Inconnu.

J'interrogeai la vendeuse. Il me fut répondu que c'étaient des chansons de l'entre-deux guerres. Visiblement, la commerçante ne connaissait pas son produit, tant il était évident que le titre des ballades concernait les premières années du communisme roumain, autour des années 1950 : Guvernul comunist, Gheorghiu-Dej şi Hrusciov, Radio Bucureşti minte... Personne n'étant capable de m'en dire plus, j'ai acheté le double album et suis parti à la découverte d'une musique oubliée.

Mais qui est Jean Moscopol ? Le site moscopol.blogspot.com, qui lui est consacré, offre des informations intéressantes, d'où je tire les éléments biographiques suivants.

Né en 1903 à Brăila dans une famille d'origine grecque, J. Moscopol exerce différentes professions avant de choisir une carrière d'artiste en 1929. Il rejoint une troupe d'opérette bucarestoise puis parcourt le pays en tournée avec l'acteur Ion Manolescu. Il enregistre pour La voix de son maître environ 300 chansons, se rend à Berlin où il se produit avec des orchestres locaux et suit des cours de chant classique.
Après guerre, il choisit l'exil, avec l'aide de l'actrice Elvira Popesco. Il s'établit brièvement en Grèce, en Allemagne et en France pour enfin préférer les États-Unis d'Amérique.
A New York, Jean Moscopol ne retrouve pas sa célébrité d'avant-guerre. Il s'investit dans la vie de la diaspora roumaine et dirige la communauté de l'église Sfântu Dumitru. Il ne retourne au chant que pendant la décennie 1970, encouragé par le directeur du quotidien Universul Aristide Buhoiu. Il décède en 1980.

Le régime communiste a voulu effacer l'existence de Moscopol de la mémoire collective roumaine. Son expérience de chanteur de combat, comme l'on s'en rendra compte avec les extraits ci-dessous, ne pouvait naturellement qu'exciter la fureur de la censure totalitaire.
Le double CD est édité par Star Media Music, réf. SMM 008 "Jean Moscopol - Cântece de dragoste / Balade şi cuplete anticomuniste". Ce label a son propre site web (www.starmediamusic.com) mais, au moment où je rédige ces lignes, il ne répond pas (les mauvaises langues diront : comme souvent en Roumanie).

Ţară comunistă (Pays communiste) est une mise en boîte des pratiques dictatoriales, loin des idéaux philanthropes et égalitaristes affichés par la propagande. Féroce ? Pas réellement si l'on songe que la réalité n'était pas moins abjecte que la situation ici raillée, sur un air déjà connu intitulé Morăriţei. Pour écouter, cliquer ici (nouvelle fenêtre).

Ţară comunistă

Pays communiste


Într-o ţară comunistă

Cand eşti fire arivistă

Şi-ai şi-un caracter sinistru

Poţi ajunge repede ministru

După ce-ncasezi la prime

Şi te faci partaş la crime

Eşti băgat la închisoare

Şi-apoi condamnat pentru tradare

En pays communiste

Quand tu es un fieffé arriviste

Et que tu as un caractère sinistre

Tu peux vite devenir ministre.

Puis toucher des primes

Qui te rendent complice du crime

Tu es jeté en prison

Puis condamné pour trahison

Roata lumii se-nvarteşte, tzac, tzac, tzac.

Si-orice crima se plateşte, tzanc, tzanc, tzanc.

Comunismu-ntai te-ajută, tac, tac, tac

Şi apoi, te execută, pac, pac, pac

La roue du monde tourne, tzac, tzac, tzac

Et chaque crime se paye, tzanc, tzanc, tzanc.

D'abord, le communisme t’aide, chut, chut, chut

Et ensuite t’exécute, pan, pan, pan.



Cand sovieto-comitetul

Îţi cere-autoportretul

Asta-i semn ca nu-i mai placi

Şi c-autocritic-ai sa-ţi faci.

După ce-ti gasesc ei buba

Urmeaza autoduba.

Si-apoi toată istoria

Se termină cu autopsia

Quand le comité soviétique

Demande ton autoportrait

Cela signifie que tu ne lui plais plus

Et que tu dois faire ton autocritique.

Après t'avoir trouvé un défaut

Arrive le panier à salade.

Et enfin toute cette histoire

Se finit en autopsie.

Roata lumii se-nvarteşte, tzac, tzac, tzac.

Si-orice crima se plateşte, tzanc, tzanc, tzanc.

Comunismu-ntai te-ajută, tac, tac, tac

Şi apoi, te execută, pac, pac, pac.

(coup de feu)

La roue du monde tourne, tzac, tzac, tzac

Et chaque crime se paye, tzanc, tzanc, tzanc.

D'abord, le communisme t’aide, chut, chut, chut

Et ensuite t’exécute, pan, pan, pan.


Jean Moscopol utilise des airs populaires très connus pour y plaquer ses diatribes. Un autre exemple se trouve dans Guvernul comunist dans lequel l'artiste règle ses comptes avec l'écrivain Mihail Sadoveanu (1880 - 1961), adepte de la collaboration, et avec un certain Bălăceanu que je n'ai pas identifié avec précision.

La chanson est disponible ici :
www.trilulilu.ro/lauvoi/3fb5754bcb7501

Guvernul comunist

Gouvernement communiste

Ce frumoasă e este viaţă

Când esti chior şi prost ca ţaţa

Şi ajungi din potcovar

În guvern subsecretar

Que cette vie est belle

Quand, borgne et bête comme un plouc,

Tu quittes l’atelier du maréchal-ferrant

Pour devenir sous-secrétaire du gouvernement

Ce frumos e când vin Ruşii

Şi îti spun din două soluţii

Cum să vorbeşti cum să taci

Şi pe apostolu să faci

Qu’il est beau, quand viennent les Russes,

Et qu’ils te posent leurs deux options

Comment parler et comment se taire

Et comment exercer ton sacerdoce.

Ce frumos e este viaţă

Când să spui te ţine aţa

Că ne vine bat-o vina

Pe la răsărit lumina

Que cette vie est belle

Quand on te force à dire

Que (pourquoi le taire)

Du levant vient la lumière

Ce frumos e să ai ceafă

Şi de la soviete leafă

Să fi frate cu duşmanu

Şi să sa-ti zica Sadoveanu

Qu’il est beau d’avoir une nuque

Et un salaire des Soviets

D’être frère avec l’ennemi

Et de s’appeler Sadoveanu

Ce frumoasă e este viaţă

Când nu te apuca greata

Sa-i tot perii pe intruşi

Şi sa-i tamâiezi pe Ruşi

Que cette vie est belle

Quand la nausée t’est étrangère

Que tu caresses les intrus

Et encenses les Russes

Bălăceanu te numeşti

Fiindca în ţara RPR-istă

Cu nesatz te bălăceşti

În mocirla comunistă

Bălăceanu tu t’appelles

Dans la République Populaire Socialiste

Et avec délices tu patauges

Dans la fange communiste


On aura sans doute du mal à se figurer que l'auteur de ces lignes était, dans sa jeunesse, l'équivalent roumain des chanteurs de charme de l'entre-deux guerres, comme Maurice Chevalier ou Tino Rossi. Sa volonté de transcender par son art son combat pour la liberté est tout à son honneur.

Sources


Sauf mention contraire, les traductions sont réalisées par l'auteur de l'article.

mardi 18 août 2009

Deux récitals de Tomescu en CD

Le label roumain Intercont Music propose enfin des CD consacrés au prometteur violoniste Alexandru Tomescu. Deux albums en duo, avec le pianiste Horia Mihail.
Stradivarius Encore (IMCD 1323) offre seize petites pièces en forme de bis. Programme convenu ? Pas vraiment. Si Kreisler, Sarasate ou Massenet avec son impérissable Méditation de Thaïs sont au programme, l'on note aussi la Balade de Porumbescu, célèbre en Roumanie mais inconnue partout ailleurs. Tomescu illustre avec une tendresse infinie cette pièce méditative et occasionnellement virtuose, prenant soin de faire sonner à sa juste mesure le stradivarius Elder-Voicu dont il est le dépositaire et qu'il aurait été dommage de laisser dormir dans un musée. Les mêmes qualités se retrouvent dans la Méditation de Thaïs. A noter le jeu tout en finesse du pianiste Horia Mihail, partenaire si précieux dans un répertoire peu gratifiant pour l'accompagnateur.
J'ai toujours trouvé les Liebeslied et Liebesfreud de Kreisler insupportables, et tout l'art du violoniste, aussi irréprochable soit-il, ne réussit pas à m'en faire démordre ; petite contrariété heureusement tempérée par la superbe Danse Slave de Dvořák, transcrite par le même Kreisler. Sentiments identiques avec le célèbre Zapateado de Sarasate, où jamais le plaisir du jeu et de l'écoute n'est gâché par la contrainte technique.
Plus rares : une Habanera de Capoianu, enlevée avec une grâce digne de Stéphane Grappelli, et une transcription de l'Adagio de la Suite pour piano dans le style ancien d'Enesco, arche rêveuse et si intense dans cette vision passionnée.
Cette affiche est complétée par Sibelius (Humoresque n° 5, très Belle-Époque) et quatre grands Russes.
Le Gopak de Moussorgski est servi avec la sauvagerie qui convient à son tempérament, à l'opposé de la si convenue Vocalise de Rachmaninov que l'on pourra préférer, à tout prendre, dans une version avec soprano. Mais la surprise vient surtout des quatre Préludes de Chostakovich, doux-amers et grimaçants, proches en cela de la Marche des Trois Oranges de Prokofiev qui clôt le récital, tout en traits sournois et rythmes implacables.
En dépit d'une présentation indigente - pas la moindre notice, verso du CD en langue roumaine uniquement - l'on veut espérer que cette carte de visite serve la réputation de Tomescu au-delà de son pays.
Le second album est, de façon assez démagogique, intitulé Virtuoso Stradivarius (IMCD 1346). Il est mieux conçu que le premier, car accompagné d'une notice. Hélas, elle n'est qu'en Roumain. Merci pour les mélomanes étrangers !
Il s'agit ici de pièces plus vastes (de 7 à 13 minutes pour la plupart). L'on peut regretter le choix de deux pièces sirupeuses de Tchaikovski (la valse-scherzo op. 34 et la 3e Mélodie de l'opus 42), compositeur si attachant par ailleurs, pour savourer en revanche la prestation des artistes dans l'Introduction et Rondo Capriccioso de Camille Saint-Saëns. La pièce est non seulement jouée avec une bonhomie communicative, mais avec une parfaite compréhension des ressorts humoristiques de cette œuvre, trop souvent prise à la hussarde et ici admirablement restituée. Chose évidemment rendue possible par l'impeccable maîtrise technique de la partition, ce qui n'est pas peu dire.
Paganini est au programme, avec Le Streghe (Danse des sorcières) et les Variations sur une seule corde sur des thèmes de l'opéra Moïse de Rossini. Dois-je avouer un profond manque d'intérêt pour cette musique vouée à la seule virtuosité ? Aussi me bornerai-je à souligner la dextérité de Tomescu, époustouflante, au service de bien peu de chose en vérité. Much ado about nothing ! En contraste, salutaire Pablo de Sarasate avec sa Mélodie tzigane (Zigeunerweisen) op. 20, sincère hommage rendu aux laoutars d'Europe centrale, sans profondeur factice mais avec une verve assumée. Prestation pleine de chic du violoniste, un peu trop discrète peut-être du pianiste qui peine à faire entendre ses imitations du cymbalum dans l'exubérant finale.
Les deux œuvres du Polonais Wieniawski complètent heureusement le programme. La belle Légende op. 17 aux accents mystérieux se développe en nobles cantilènes alors que les Variations sur un thème original op. 15, enjouées et pyrotechniques, offrent une agréable conclusion à un récital bienvenu.
Bienvenu, certes, mais avec un arrière-goût un peu mitigé ; Alexandru Tomescu est un violoniste de très grand talent, cela semble acquis, mais la concurrence est aujourd'hui si élevée que l'on ne saurait dire si ces quelques pièces à l'intérêt inégal suffiront à sa reconnaissance. L'on ne peut qu'encourager les agents artistiques à lui proposer enfin un répertoire à la mesure de son art : les sonates, les grands concertos, non seulement classiques et romantiques mais d'un XXe siècle encore trop délaissé. Et, puisque nous parlons d'un artiste des Carpates, à quand Tomescu dans le Caprice Roumain de Georges Enesco ?

jeudi 6 août 2009

Horaţiu Rădulescu (1942 - 2008)

Au Conservatoire de Bucarest (1960-61, 1964-69), H. Rădulescu suit les cours de Tiberiu Olah (composition), Ştefan Niculescu (forme musicale) et Aurel Stroe (orchestration). Dès 1969 il rejoint Paris où il se spécialise dans le domaine de la musique spectrale. Il devient alors citoyen français. En Allemagne, il s'intéresse aux développements de la musique contemporaine (Cologne, Darmstadt).

Il est professeur à l'institut Notre Dame des Champs Elysées de la capitale française, enseigne l'analyse et la composition à l'Université d'Ottawa, au Canada (1973). En 1983, il fonde l'ensemble European Lucero. Il donnera le même nom Lucero au festival qu'il étrenne à Paris en 1991.

En tant que compositeur, H. Rădulescu rejoint la résidence DAAD de Berlin (1988-89), obtient la saison suivante des bourses de San Francisco, Venise et Rome, puis en 1992 du gouvernement français (bourse l'Année Sabatique). Cette même année, il est honoré du premier prix de composition.

Installé à Clarens en Suisse, il retrouve en 2004 son pays natal pour donner des master classes à l'Université de Brasov.

H. Rădulescu était aussi pianiste de talent, peintre et poète estimé.

Musique symphonique

Music for Taaroa (Prayer, Revelation, Ritual) op. 7 (1972), pour 59 solistes
Fountains of Sky, op. 16 (1973)
Infinite to be cannot be infinite, infinite not to be can be infinite, op. 33 (1982), pour 8 quatuors ou 128 cordes, chacune d'entre elles étant accordée de façon unique
Concerto pour piano et orchestre "The Quest"

Musique de chambre

Introito, ricercare, sonare op. 4 (1969) pour quatuor à cordes
Cradle to Abyses, op. 5 (1972), pour piano
Vies pour les cieux interrompus, op. 6 (1972), pour quatuor à cordes et deux pianos préparés par électronique
Flood for the Eternals Origins, op. 11 (1972), musique plasmatique pour ensemble
Everlasting Longings, op. 13a (1972), pour 24 cordes
Shall be lifted, nevermore !, op. 17b (1973), pour harmonium et quatuor de saxophones
Twilight Intricacy, op. 21 (1973), pour 13 contrebasses et 97 interprètes
Thirteen Dreams Ago, op. 23 (1974), pour soprano, compositeur, 5 vents et 6 percussions
The Outer Time ; These Occult Oceans ; Beydons's Aura ; The Inner Time, pour 5 clarinettes
Christe Eleison, pour orgue
Where Beyond, op. 55 (1984) pour flûte
Lux Animae (1999), pour violoncelle spectral
Sonate dupa Lao Tze, quatre sonates pour piano
Dr. Kau Hong's Diamond Mountain VI, op. 77 (2000), pour 61 gongs spectraux et violon solo (accordé selon la manière spectrale).

Musique vocale

Do emerge ultimate silence, op. 30 (1999), pour 34 voix d'enfants
Sonetto di Dante (1973), pour basse et violoncelle

Sources

  • Viorel Cosma, Muzicieni din România, vol. VIII, Editura muzicală, Bucureşti, 2005 - ISBN 973-42-0404-1